Baptisée sans croire au baptême



Publié le 11/01/2024 sur internet
Publié dans le N°662 de la publication papier du Courrier de Rome



Daniela est une charmante jeune fille de 22 ans. Etudiante en droit, elle rencontre Jean dans son université. Très vite, des sentiments profonds les unissent, si bien qu’ils envisagent de se marier. Mais Daniela n’est pas chrétienne. Elle a reçu une éducation païenne et n’est pas baptisée. Jean au contraire, catholique convaincu, ne peut se résigner à épouser une acatholique. Il le dit clairement à sa bien-aimée. Que Daniela se convertisse, reçoive le baptême, et l’obstacle disparaîtra. La jeune fille est trop amoureuse pour tergiverser. Athée par éducation plus que par conviction, elle ne voit pas d’objection majeure à devenir catholique. Elle se rend donc à l’adresse indiquée par Jean pour rencontrer un prêtre et lui demander le baptême. Sa déception est grande lorsqu’elle apprend alors que cette démarche exige au préalable une année complète de catéchisme. Elle acceptenéanmoins, et tous les samedis, suit avec attention les cours donnés par le prêtre.
La jeune fille découvre alors un monde qui lui était totalement inconnu et lui paraît proprement incroyable. Les miracles du Christ lui semblent des histoires à dormir debout. La résurrection de Lazare, mort depuis quatre jours, lui paraît totalement invraisemblable. L’histoire d’Adam et Ève et du péché originel révolte même sa raison. Comment adhérer à ces légendes ? L’évangile n’est qu’un tissu de balivernes ! Que les catholiques sont naïfs ! Pourtant, désirant devenir catholique pour épouser Jean, elle se garde bien de faire part au prêtre de son incrédulité et continue d’assister assidûment aux cours.
Lorsque le jour du baptême arrive, les sentiments de Daniela sont mitigés. D’une part, elle est heureuse de faire disparaître enfin l’obstacle au mariage. D’autre part, elle ne se sent pas honnête. Ses convictions intimes ne sont-elles pas opposées à la cérémonie extérieure ? Lorsque le prêtre l’interroge, suivant le rituel, sur son adhésion aux principales vérités du christianisme, elle répond « je crois » de ses lèvres mais n’y adhère aucunement avec son intelligence.
Finalement, le mariage est célébré en grande pompe.
Cependant, quelques semaines plus tard, Daniela commence à réfléchir sérieusement. La pratique religieuse fervente de son mari ne peut la laisser indifférente. Comment continuer à jouer un double jeu avec un homme si loyal ? Le remords la ronge. Enfin, touchée par la grâce, elle avoue à Jean son hypocrisie. C’est en pleurant qu’elle lui révèle sa comédie passée.
Jean est généreux : il pardonne et conserve tout son amour à Daniela. Mais cette histoire le laisse perplexe : son épouse est-elle vraiment baptisée ?Celle-ci estime que le sacrement ne vaut rien puisqu’elle l’a reçu avec une âme sceptique et révoltée. Mais Jean n’en est pas si sûr. Il va donc consulter son curé qui, après une heure de réflexion, lui répond gravement, un livre entre les mains :
« Ce baptême n’a pas été reçu validement. En effet, pour être baptisé, il faut le vouloir. Saint Thomas le dit explicitement dans la Somme théologique : “Si un adulte n’avait pas eu l’intention de recevoir le sacrement, il faudrait le rebaptiser” (IIIa q. 68 art. 7).La raison est simple : Dieu respecte la liberté qu’il nous a donnée. Il ne veut pas qu’un adulte soit sanctifié sans sa volonté et son consentement. Or Daniela n’a pas eu l’intention de recevoir le baptême. Elle a joué la comédie, comme un acteur de théâtre. Comment aurait-elle pu vouloir être baptisée, elle qui ne croyait pas dans la tache originelle ? Comment aurait-elle pu vouloir devenir catholique, elle qui n’adhérait pas à ses dogmes ? Comment aurait-elle pu vouloir recevoir un sacrement, elle qui ne croyait pas dans l’efficacité des sacrements ? Ses mauvaises dispositions ont constitué un obstacle à la grâce. Elle a simulé. Si elle veut devenir catholique, vraiment cette fois, alors il faut la rebaptiser.
Bien plus, il faut donc constater que vous avez épousé une femme qui n’est pas baptisée. Or, d’après le Droit canonique, lorsqu’un catholique épouse une non baptisée, il y a un empêchement de disparité de culte qui rend le mariage invalide. Il faut demander une dispense. Évidemment, croyant que Daniela était baptisée, vous n’avez pas demandé cette dispense. Votre mariage est donc nul. Aucun lien matrimonial ne vous lie avec Daniela. Il est donc urgent de régulariser la situation. En attendant, vous ne pouvez pas vous approcher de celle qui, en réalité, est votre concubine et non votre épouse ».
Bouleversé par une telle conclusion, Jean consulte un autre prêtre, théologien chevronné, qui donne une réponse radicalement différente :
« Votre mariage est valide parce que cette femme est vraiment baptisée. Elle a bien eu l’intention de recevoir le sacrement. Cette volonté s’est manifestée par le fait de s’être laissée instruire des principales vérités de la foi chrétienne pendant une année complète. Il est vrai que le motif qui l’a poussée à vouloir être baptisée n’a rien à voir avec le salut éternel et la foi catholique et que son étude du catéchisme fut une simple hypocrisie, ou plutôt une habileté pour parvenir à sa fin. Elle a vu dans la réception du baptême et le fait dedevenir catholique un simple moyen pour pouvoir ainsi se marier. Il n’en demeure pas moins que sa volonté d’être baptisée est claire.
Or la seule condition requise, du côté du sujet, pour un baptême valide, est l’intention d’être baptisé. L’absence de foi n’est aucunement un obstacle à la validité du sacrement. Saint Thomas dit en effet : “La foi du baptisé n’est pas requise nécessairement pour le baptême, pourvu que soient remplies les autres conditions nécessaires au sacrement. Car le sacrement n’est pas l’œuvre de la justice de l’homme, ni de celui qui le donne, ni de celui qui le reçoit, mais il est l’œuvre de la puissance de Dieu. (…) Si on n’a pas une idée juste de ce sacrement, il suffit pour le recevoir d’avoir l’intention générale de recevoir le baptême tel que le Christ l’a institué et tel que l’Église le donne” (IIIa q. 68 art. 8).Le Saint-Office a été consulté le 19 septembre 1671 sur la question suivante :“Faut-il rebaptiser ceux qui ont reçu le baptême avec une intention superstitieuse ?”Rome répondit qu’il n’était pas nécessaire de les baptiser à nouveau. Autrement dit, l’intention superstitieuse du sujet n’est pas un obstacle à la validité du sacrement. Le Saint-Office a aussi écrit le 3 août 1860 : « L’intention ou volonté de recevoir le baptême est requise nécessairement ; à défaut de celle-ci, le caractère baptismal ne s'imprime pas chez l'adulte. Il n'en va pas de même pour la foi et la pénitence qui sont requises pour que l'adulte reçoive licitement le sacrement avec ses fruits propres : l’intention est nécessaire pour la validité du sacrement, de sorte que l’adulte baptisé sans foi ni pénitence est baptisé illicitement mais validement. Au contraire, celui qui est baptisé sans la volonté de recevoir le sacrement n’est baptisé ni licitement ni validement ».
Cette vérité est confirmée par la pratique de l’Église : celle-ci a toujours considéré les hérétiques comme validement baptisés, pourvu que les autres conditions soient réunies. Or les hérétiques, par définition, n’ont pas la foi.
Ce principe vaut aussi pour les autres sacrements, à l’exception de la pénitence. Sans la vertu théologale de foi, il est possible de recevoir validement non seulement le baptême, mais aussi la confirmation, l’Eucharistie, l’ordre, le mariage et l’extrême-onction.Une telle réceptionserait gravement illicite et constituerait évidemment un sacrilège, mais telle n’est pas la question ici. Quant au sacrement de pénitence, comme il a pour matière prochaine les actes du pénitent, il requiert, pour sa validité, la contrition au moins imparfaite. Or, cette contrition surnaturelle exige la foi. Par conséquent, une personne qui n’aurait pas la foi ne pourrait pas se confesser validement , alors qu’elle pourrait validement recevoir les six autres sacrements.
Ce qu’il faut noter en revanche, c’est que le baptême reçu par Daniela ne fut pas fructueux.Il a imprimé dans son âme le caractère, il a fait entrer la jeune fille dans l’Église catholique (parce que son absence de foi est occulte) , mais il n’a pas produit la grâce et n’a effacé ni le péché originel ni ses péchés personnels. Pour obtenir ces effets, Daniela aurait dû avoir la foi et regretter ses fautes. Cependant, après avoir reçu le baptême valide, si elle reconnaît son erreur et se tourne vers Dieu avec une contrition au moins imparfaite, alors l’obstacle à la grâce sera levé et le baptême, en vertu de ce qu’on appelle la reviviscence, produira dans son âme tous ses fruits de salut .Il faut se garder de confondre sacrement valide et sacrement fructueux. Certes, l’absence de foi est un obstacle à la grâce, mais une telle absence n’est pas un obstacle à l’impression du caractère baptismal. Comme le dit encore saint Thomas, “si quelqu’un reçoit le baptême sans avoir la vraie foi, le sacrement n’est pas utile à son salut” . Maintenant, Daniela n’a plus qu’à aller se confessersans tarder ! »
Le Courrier de Rome se rallie pleinement à cet avis plutôt qu’au précédent.
Abbé Bernard de Lacoste

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