L’INDULT PERPETUEL DE SAINT PIE V Suffit-il de s’appuyer sur la bulle Quo primum tempore pour continuer à célébrer la messe traditionnelle ?



Publié le 20/02/2022 sur internet
Publié dans le N°648 de la publication papier du Courrier de Rome



L’INDULT PERPETUEL DE SAINT PIE V
Suffit-il de s’appuyer sur la bulle Quo primum tempore
pour continuer à célébrer la messe traditionnelle ?

Introduction : un problème toujours actuel
1. Quel est le titre ou l’argument juridique qui permettrait de continuer la célébration de la messe traditionnelle malgré les interdictions et les restrictions de l’autorité ecclésiastique après 1969 ? La question est encore plus actuelle depuis le motu proprio Traditionis custodes du pape François (16 juillet 2021). Si les solutions proposées sont nombreuses, elles peuvent néanmoins être réduites à deux catégories.
2. Pour les uns il s’agit d’un problèmede droit : le pape saint Pie V (1566-1572) a approuvé le rite traditionnel de la messe d’une telle manière et par de telles formules, que personne, même pas un autre pape, ne pourrait l’abroger. Certes, rien n’empêcherait l’un de ses successeur de promulguer un autre rite, mais celui-ci ne saurait être imposé à la place de l’ancien : tout prêtre, en s’appuyant sur l’« indult perpétuel » contenu dans la bulle Quo primum tempore (14 juillet 1570),pourrait continuer à le célébrer.
3. Pour les autres il s’agit d’un problèmede fait : comme tout rite liturgique (à l’exception de la substance des sacrements), même le rite de la messe, tel qu’il a été promulgué par la bulle de saint Pie V, aurait pu être abrogé par un autre pape. Le problème est que, de fait, le rite quiest censé le remplacer, à savoir le rite de Paul VI (1963-1978), est moralement et juridiquement illicite, car il« s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans les détails, de la théologie catholique de la sainte messe » . Donc, dans l’impossibilité de suivre la loi nouvelle, il faut continuer à observer l’ancienne.
4. Face aux nouvelles restrictions imposées par le pape François, ces deux positions peuvent amener à des conséquences très différentes. Pour les uns, il n’existe que le problème de droit, et alors un prêtre pourrait ne jamais célébrer la nouvelle messetout en admettant, en principe, sa légitimité ou du moins sans prendre position à ce sujet. Pour les autres, le vrai problème est celui de fait :par conséquent, il est impossible de refuser la célébration de la nouvelle messe (lorsque les autorités le demandent) à moins d’affirmer son illégitimité.
5. La question de fait sur la légitimité ou licéité de la nouvelle messe ayant été déjà traitéeen de nombreuses publications, nous voudrions nous pencher sur la questionde droitqui, à notre avis, a reçu moins d’attention. Pourtant, il s’agit d’un problème de taille, eu égardaux principes théologiques et juridiques qu’il implique, aux autorités dont il se prévaut et àla diffusion qu’il a encore de nos jours. C’est pourquoi, dans la courte étude qui suit, nous chercherons à l’examiner en profondeur. Pour plus de clarté, nous avons choisi la forme de quaestiodisputata.

Exposition des arguments
6. Il semblerait que la loi permettant à tout prêtre de célébrer la messe selon le rite approuvé par saint Pie V ne puisse être révoquée par personne, même pas par un autre pape.
7. Premier argument. –Dans la bulle Quo primum tempore, saint Pie V établit que « perpetuisfuturistemporibus » la messe ne devra être célébrée autrement que selon le rite qu’il a approuvé ;sa constitution apostolique est dite « perpetuovalitura », à tel point qu’elle ne pourra être révoquée ou limitée « ullounquamtempore » ;ni les prélats ni les simples prêtres ne pourrontêtre obligés, par qui que ce soit,d’utiliser un autre rite ; de plus, le document se termine par une célèbre formule comminatoire . Or, une loi liturgique promulguée par de telles formules constitue un « indult perpétuel » engageant le futur, qu’aucun homme sur terre, même pas un pape, ne saurait révoquer. Donc personne, en aucun temps, ne peut abroger ou interdire le rite de la messe approuvé par saint Pie V.
8. Deuxième argument. – A supposer qu’un autre pape puisse abroger le rite de la messe promulgué la bulle Quo primum tempore, il devrait le faire par un document aussi solennel. Or, la constitution apostolique Missaleromanum(3 avril 1969), par laquelle le nouveau rite de la messe est censé remplacer l’ancien, n’est pas un document aussi solennel que la bulle Quo primum tempore : elle n’a pas la forme d’une bulle, ne contient pas de formules péremptoires d’approbation ou d’imposition et, qui plus est, ne dit nulle part qu’elle abrogela bulle de saint Pie V ou son rite de la messe. On en conclut que la messe traditionnelle est toujours en vigueur. Bien plus, l’attitude de Paul VI semble montrer qu’il était conscient de n’avoir pas le droit de la supprimer.
9. Troisième argument. – Si l’on considère les formules employées par saint Pie V dans la bulle Quo primum tempore, on peut dire qu’il a canonisé la messe traditionnelle comme l’on canonise un saint. Or, personne, même pas le pape, ne peut abroger une canonisation ou interdire le culte d’un saint canonisé. Donc personne, même pas le pape, ne peut abroger la messe de saint Pie V ou en défendre la célébration.

Principe de réponse
10. Le pape Innocent III (1198-1216) rappelle, dans les Décrétales, que « l’intention de celui qui établit une prohibition ne peut être celle de lier ses successeurs qui auront, après lui, un pouvoir non seulement égal, mais identique au sien, puisque l’égal n’a pas d’autorité sur son égal » .Ce principe, on le comprend, ne s’applique pas à la loi divine, tant naturelle que positive, qu’aucun homme ne saurait changer, mais uniquement à la loi humaine, civile ou ecclésiastique. Plus récemment, Pie XII, dans la constitution apostolique SacramentumOrdinis(30 novembre 1947), enseigne la même chose : « Tous savent que ce que l’Eglise a établi, elle peut aussi le modifier et l’abroger » (n° 3).Cet argument d’autorité est confirmé par la raison spéculative. Saint Thomas d’Aquin donne deux raisons de la mutabilité de toute loi humaine. La première se tient du côté du législateur, et c’est la raison humaine elle-même, qui ne peut connaître que progressivement, en passant du moins parfait au plus parfait, ce qui convient au bien de la communauté. La seconde se tient du côté du sujet, et c’est la mutabilité de la condition humaine, qui requiert une certaine adaptation des lois aux circonstances concrètes. La loi humaine n’est, en effet, qu’une application et une spécification de la loi naturelle. Si les principes de la loi naturellesont immuables parce qu’ils sont universels, leurs applications particulières, dont se charge la loi humaine, ne le sont pas .
11. Or, le Concile de Trente, dans sa XXIe session (16 juillet 1562)déclare que« l’Eglise a toujours eu le pouvoir de statuer ou de modifier, dans la dispensation des sacrements, sans toucher à leur substance, ce qu’elle juge plus à propos pour l’utilité de ceux qui les reçoivent ou pour la vénération due aux sacrements eux-mêmes, selon la diversité des circonstances, des temps et des lieux » . Pour les théologiens, la substance des sacrements ne consiste qu’en leur matière et leur forme : celles-ci, ayant été instituées par Jésus-Christ, ne sauraient être modifiées par l’Eglise . Et encore, on discute si, pour certains sacrements, la matière et la forme ont été instituées in specieou simplement in genere.La dernière solution semble très probable pour quasimenttous les sacrements, hormis le baptême et l’eucharistie . Quoiqu’il en soit de cette question, que nous aimerions traiter en détail dans une prochaine étude, une chose est certaine : si la substance des sacrements ne consiste qu’en leur matière et leur forme, tout le resteest d’institution ecclésiastique. Autrement dit, c’est l’objet d’une loi humaine. Cela est confirmé par les recherches historiques en matière liturgique, qui ont connu un essor particulier depuis environ un siècle. Pour ce qui concerne la messe,l’origine apostolique des cérémonies qui la composent ne peut être prouvée avec certitude que pour la matière et pour la forme . Les autres rites, au moins dans leur aspect matériel et concret (les mots, les gestes), ont vraisemblablement été introduits et parfois modifiés au cours des siècles ; d’ailleurs ils ne sont pas tout à fait les mêmes dans les divers rites catholiques aujourd’hui en vigueur.De plus, même si l’on pouvait prouver que certaines cérémonies non substantielles de la messe remontent à l’âge apostolique, il faudrait encore démontrer qu’elles sont d’institution divine. Or, le Concile de Trente, dans l’interprétation commune des théologiens, affirme le contraire : en-dehors de la substance, matière et forme, des sacrements, les autres cérémonies sont d’institution ecclésiastique. Parmi ces cérémonies, il y a sans doute le rite de la messe.
12. La conclusion s’ensuit : l’Eglise, en la personne de son autorité suprême, le pontife romain, peut modifier, reformer et aussi abroger et remplacer le rite de la messe, à l’exclusion de sa matière et de sa forme. Qu’on veuille bien ne pas se méprendre sur la portée d’une telle conclusion. Nous ne voulons pas dire que le pape peut changer le rite de la messe quand et comme il veut. Par définition, toute loi doitêtre ordonnée au bien commun . Si ce n’est pas le cas, elle n’a même pas raison de loi : elle n’a de la loi que l’apparence. C’est pourquoi, si le pape modifie le rite ancien de telle sorte que le nouveau rite (par le fait même de bouleverser des habitudes pluriséculaires)cause de graves troubles à la foi et à la discipline des fidèlesou, encore pire, n’exprime plus adéquatement la doctrine catholique, une telle réforme ne saurait avoir force de loi ; il faudrait alors la rejeter et se tenir à la loi ancienne. Mais personne n’ignore qu’ici on passe de la question de droit à la question de fait. Or, notre conclusion ne concerne que la question de droit : en soi, le pape a le droit de changer, même radicalement, le rite de la messe, sans toucher cependant à sa substance, c’est-à-dire à la matière et à la forme.

Solution des arguments
13. Au premier argument, nous répondons que la perpétuité est une propriété de toute loi. « A la vérité, aucun texte législatif ne requiert que ce caractère soit donné aux dispositions légales. C’est l’analyse du concept de loi qui conduit à conclure que la loi doit être perpétuelle » . Toutefois, dans le cas des lois humaines, il ne s’agit que d’une « perpétuité relative, en ce sens qu’elles sont mises en vigueur pour une durée indéterminée et demeurent obligatoires jusqu’à ce que, positivement ou tacitement, le pouvoir législatif décide le contraire » .Or, nous avons vu (n° 11) que le rite de la messe, hormis sa substance, est l’objet d’une loi humaine ecclésiastique. Il s’ensuit que les formules « à perpétuité » employées par la bulle Quo primum tempore doivent s’entendre d’une perpétuité non pas absolue, mais relative. Quant à la défense faite à qui que ce soit de modifier, abroger ou interdire la messe promulguée par saint Pie V, il est clair, d’après les principes énoncés ci-dessus (n° 10), qu’elle concerne les autorités inférieures au pape, et non pas le pape lui-même.
14. Tout ce que nous venons de dire est confirmé par l’examendes coutumes diplomatiques des documents pontificaux de l’époque. Toutes les bulles contiennent des formules « à perpétuité », au moins la clause initiale « Ad perpetuamrei memoriam » . De même, « toutes les bulles se terminent par des clauses imprécatoires et comminatoires. Dans les petites bulles elles commencent ainsi : Nulli ergo omninohominumliceathancpaginamnostrae… infringere… » . Ce ne sont pas des caractères propres à Quo primum tempore. Les contemporains savaient très bien que, lorsqu’il s’agissait de lois ecclésiastiques, ces formules ne signifiaient qu’une perpétuité relative (ci-dessus, n° 13). Un exemple pratique nous aidera à éclaircir encore mieux la question. Le 21 juillet 1550, par la bulle Exposcitdebitum, le pape Jules III (1550-1555) approuvait « à perpétuité » la Compagnie de Jésus, avec ses constitutions et ses privilèges, et il interdisait « à quiconque, quelle que soit son autorité » d’en décider autrement. Comme toutes les bulles, celle-ci aussi se terminait en menaçant de l’indignation des saints Apôtres Pierre et Paul contre ceux qui oseraient y contredire.Néanmoins, un peu plus de deux siècles après, son successeur Clément XIV (1769-1774) supprimait la Compagnie par le bref Dominus acRedemptor, du 21 juillet 1773. Dans ce document, on lit les mots suivants : « Quant au présent bref,[…]Nous voulons qu’en aucun temps il ne puisse jamais être attaqué, infirmé ou invalidé ». Cela n’a pas empêché Pie VII (1800-1823) de rétablir la Compagnie de Jésus, avec ses anciennes constitutions et privilèges, le 7 août 1814, par la bulle Sollicitudo omnium Ecclesiarum. Or, personne n’a jamais mis en question la légitimité des actes de ces papes.
15. Pour revenir au missel romain, malgré l’interdiction portée par saint Pie V d’y changer quoi que ce soit, et cela à perpétuité, le pape Pie XII, en 1955 (décret Maxima redemptionismysteria, de la Sacrée Congrégation des Rites, 16 novembre) donna à la semaine sainte une forme nouvelle, qui tranchait nettement avec le rite jusqu’alors en vigueur et qui n’avait aucun précédent dans les liturgies anciennes. On peut certes regretter une telle réforme et s’interroger si, aujourd’hui, il convient de la conserver. Mais, encore une fois, personne n’a jamais douté que Pie XII eût le pouvoir de la faire.

16. Quant à l’« indult », il s’agit d’une dispense au droit commun ecclésiastique octroyée par le Saint-Siège. Dès lors, il est clair que sa perpétuité n’est que relative, et que l’autorité suprême de l’Eglise peut le révoquer, comme il est arrivé au Concile de Trente .

17. Au deuxième argument, nous répondons premièrement que, selon la matière, tant Quo primumtemporeque Missaleromanumsont des constitutions apostoliques ; selon la forme, en revanche, la première est une bulle, tandis que la secondeen a certaines caractéristiques, mais pas toutes . Quoiqu’il en soit, « si la forme des bulles fut souvent choisie à cause de la solennité extérieure et traditionnelle qui s’y rattache, elle n’offre, dans la pratique du Saint-Siège, aucun caractère obligatoire, même pour les actes doctrinaux. De son usage, non plus que de son absence, on ne peut tirer aucun argument décisif pour la valeur dogmatique ou disciplinaire de l’acte » . La constitution SacramentumOrdinisde Pie XII (ci-dessus, n° 10), qui pourtant règle une question extrêmement importante, telle la matière et la forme du sacrement de l’Ordre, ne renferme pas non plus de formules comminatoires ; sa forme diplomatique, au contraire, ressemble beaucoup à celle de Missaleromanum. Clément XIV a supprimé les Jésuites par un simple bref. En conclusion, de la moindre solennité formelle de Missaleromanumnous ne pouvons rien tirer.
18. Nous répondons, deuxièmement, que les formules de Paul VI sont certainement moins explicites et péremptoires de celles de saint Pie V ; toutefois, elles expriment suffisamment, croyons-nous, sa volonté. La lecture de Missaleromanummontre que Paul VI avait l’intention de réformer le rite romain de la messe, c’est-à-dire d’en introduire une nouvelle forme qui devait se substituer à l’ancienne.Après avoir donné un aperçu des point principaux de la réforme, le pape déclare vouloir prendre des dispositions analogues à celles de saint Pie V en 1570. Le document se clôt par une formule d’imposition : « Ce que nous avons prescrit par cette constitution entrera en vigueur le 30 du prochain mois de novembre […] Nous voulons que ce que nous avons établi et ordonné soit ferme et efficace maintenant et dans le futur » .
19. Nous répondons, troisièmement, qu’une loi peut être révoquée de différentes manières. Pour nous borner aux divisions qui nous intéressent, la révocation totale d’une disposition législative peut se faire soit directement, par abrogation au sens strict ; soit par une loi contraire et de même degré, et alors on parle d’obrogation. La révocation se divise encore en expresse, lorsque le législateur emploie l’expression même d’abroger ou un terme équivalent ou bien il indique son intention par une clause de style (par exemple « contrariisquibuscumque non obstantibus ») ;outacite, lorsque le législateur promulgue une loi directement contraire à la précédente, même si elle ne le dit pas, ou bien si la décision nouvelle refond complètement la matière . Or, la constitution Missaleromanumn’abroge pas, au sens strict, la messe traditionnelle, mais elle l’obroge, car l’intention du pape de remplacer l’ancien rite par le nouveau est suffisamment exprimée (ci-dessus, n° 17). De plus, il s’agit d’une révocation expresse, car, à la fin du document, nous lisons la clause générale d’abrogation : « Nonobstant, pour autant que cela est nécessaire, les constitutions et les ordonnances promulguées par nos prédécesseurs, ainsi que les autres dispositions, même si elles sont dignes de mention et de dérogation particulières ».Du point de vue des seules formes juridiques, la conclusion est claire : la constitution Missaleromanumest, à tous les effets, un acte de révocation et de la bulle Quo primum tempore et du rite de la messe promulgué par celle-ci.
20. Au troisième argument, nous répondons qu’il y a sans doute des points communs entre la canonisation et les lois ecclésiastiques généralesen matière de discipline ou de culte : les deux font partie de l’objet secondaire du magistère ecclésiastique ; les deux, par conséquent, sont infaillibles quant au jugement doctrinal qu’elles impliquent . Toutefois, il y a aussi une différence de taille.Les canonisations, dit le P. Zapelena, sont « des sentences définitives : […] elles ne peuvent être ni abrogées, ni modifiées, ni réexaminées » . La raison est claire : une fois que le pape a proclamé qu’une personne a pratiqué la vertu héroïque et qu’elle est au ciel, son culte est une conséquence nécessaire, il ne pourra jamais s’avérer imprudent. Les lois ecclésiastiques générales, en revanche, « sont variables, car elles dépendent de l’autorité de l’Eglise : or, de même que celle-ci peut les promulguer lorsqu’elle le juge opportun, de même elle peut les abroger ou les modifier lorsque les circonstances changent » . Jouissant de l’infaillibilité, les loisecclésiastiques générales ne peuvent rien contenir qui serait contraire à la loi divine naturelle ou positive ; mais elles peuvent être plus ou moins opportunes, plus ou moins prudentes selon les circonstances : d’où leur mutabilité.
21. Annexe I : La position de Mgr Lefebvre. –Un examen complet de la pensée de Mgr Lefebvre sur le sujet qui nous occupe demanderait beaucoup de temps et de travail. Nous nous bornerons à poser quelques jalons. Le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X, entre 1974 et 1976, insiste beaucoup sur les trois arguments « de droit ». Il semble qu’ils constituent, selon lui, la raison décisive pour continuer à célébrer la messe traditionnelles . Après 1976, au moins dans les discours tenus à Ecône, il n’y reviendra plus, sauf dans la Lettre ouverte aux catholiques perplexes(1985),mais de façon plus nuancée : « A supposer que le pape puisse revenir sur cet indult perpétuel… » (chap. XX). Sans vouloir chercher à deviner la pensée précise de Monseigneur, ne pourrait-on supposer qu’il ait utilisé l’« l’indult perpétuel » comme un argument purement ad hominem, au moins après les premières années, lorsque son jugement négatif sur la nouvelle messe se faisait de plus en plus arrêté ? Ce serait logique. Après tout, la valeur de la constitution de Paul VI était moins claire que celle de la bulle de Saint Pie V. Cela constituait un argument facile, quoique non strictement démonstratif, pour ceux qui ne voulaient pas admettre l’illégitimité de la nouvelle messe.Nous livrons cette opinion comme une pure hypothèse et salvomeliorijudicio.
22. Annexe II : Les déclarations de Benoît XVI. – Tout le monde sait que Benoît XVI, dans son motu proprio SummorumPontificum(7 juillet 2007) a déclaré que le missel « de Jean XXIII » n’a jamais été abrogé (art. 1). Or, si par cela le pape entendait que ce missel a toujours gardé sa vigueur, comment expliquer les interdictions portées par Paul VI et l’indult (qui est justement une dérogation à la loi en vigueur, c’est-à-dire à la nouvelle messe) de Jean-Paul II ? Comment expliquer la réglementation de Benoît XVI lui-même, qui soumettait quand même la célébration publique à certaines restrictions ?Si Quo primum temporen’avait jamais été abrogée, ces restrictions n’auraient eu aucune raison d’être ! Deux solutions sont possibles : soit Benoît XVI est convaincu que ses prédécesseurs (et aussi, en partie, lui-même !) ont porté des interdictions abusives, soit la notion de loi et de droit, chez les autorités conciliaires, a une signification complètement différente de celle à laquelle nous sommes habitués.
23. Annexe III : le pape a-t-il le droit de changer radicalement un rite ? – C’est la question deMgr K. Gamber (1919-1989), célèbre liturgiste, dans son livre La réforme liturgique en question .Gamber ne dit pas que l’indult de saint Pie V est irrévocable, mais se demande, à la lumière de la tradition constante de l’Eglise, où la liturgie s’est toujours développée progressivement et par de petites touches, si le pape aurait le pouvoir de changer un rite d’un coup et de fond en comble. Bien que nuancée, sa réponse est négative. Il s’appuie sur un texte de Suárez (1548-1617), d’après lequel le pape agirait en schismatique « s’il voulait bouleverser toutes les cérémonies ecclésiastiques appuyées sur la tradition apostolique » . L’argument semble très fort. Nous pensons cependant qu’il y a un problème d’interprétation. Si l’on examine sa source, le P. Jean de Torquemada , on s’aperçoit que Suárez se réfère au cas très précis où le pape, en tant qu’individu, irait contre les lois liturgiques en vigueur dans l’Eglise, non à une réforme générale de la liturgie faite par voie d’autorité. Il y a tout de même quelque chose de vrai dans le raisonnement de Gamber : on pourrait se demander si une réforme brusque et radicale d’un rite, même si elle ne renfermait aucune erreur doctrinale, irait dans le sens du bien commun.

Conclusion
24. Le seul argument vraiment efficace et démonstratif pour continuer à célébrer la messe traditionnelle est, à notre avis, l’argument « de fait ». Puisque la nouvelle messe est objectivement mauvaise au niveau de l’expression de la foi, nous ne pouvons l’accepter. Il faut donc rester attaché à loi précédente, c’est-à-dire à la bulle Quo primum tempore et à la messe traditionnelle. L’argument « de droit » a peut-être eu sa valeurad hominem dans le passé ; aujourd’hui, il pourrait facilement engendrer la fausse conviction qu’on peut poursuivre la célébration de la messe traditionnelle sans prendre position sur la nouvelle messe.

Abbé Daniele DI SORCO

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