LA PROMULGATION DU NOVUS ORDO MISSAE A-T-ELLE ABROGÉ CELLE DU VETUS ORDO ?



Publié le 20/11/2021 sur internet
Publié dans le N°644 de la publication papier du Courrier de Rome



1. La promulgation du Novus Ordo Missae est-elle « légitime » ? Au sens étymologique, est légitime ce qui est conforme à la loi, celle-ci étant l’acte par lequel l’autorité donne l’expression des moyens requis à l’obtention du bien commun. Au sens propre, la légitimité qualifie l’acte de l’autorité du point de vue de sa cause finale et elle est donc morale : l’acte de l’autorité est légitime dans la mesure précise où il donne les moyens nécessaires et suffisants en vue du bien commun. Au sens élargi, la légitimité qualifie l’acte de l’autorité du point de vue de sa cause efficiente et elle est alors purement légale : l’acte de l’autorité est légitime dans la mesure précise où sa promulgation juridique est accomplie selon les formes requises. Le deuxième sens élargi suppose toujours le premier sens propre : toute légitimité légale doit être morale, bien que l’inverse ne soit pas toujours vrai. Un acte promulgué par l’autorité selon les formes juridiques, mais qui mettrait obstacle au bien commun est apparemment mais non réellement légitime : il constitue un abus de pouvoir, c’est à dire un acte tyrannique. En ce sens, le Novus Ordo Missae de 1969 (abrégé en NOM) n’est pas réellement légitime, puisqu’il met de graves obstacles au bien commun de la sainte Eglise. Et des études assez sérieuses ont prouvé qu’il n’était même pas légitime de manière apparente, au sens où sa promulgation ne présente pas les garanties juridiques requises [1]. C’est pourquoi Mgr Lefebvre s’est toujours refusé à affirmer la légitimité de ce NOM, non seulement la légitimité morale du rite pris en lui-même, mais même la légitimité purement légale de sa promulgation. Il déclare ce refus le plus explicitement dans la conférence spirituelle donnée à Ecône du 2 décembre 1982 :« Pratiquement [ils me demandent] de reconnaître la légitimité, la catholicité, par conséquent la bonté de ces messes dites fidèlement selon le Nouvel Ordo, par conséquent même les traductions. C’est une chose pour nous absolument impossible ».

 

2. La promulgation du Novus Ordo Missae a-t-elle abrogé le rite de la messe de saint Pie V ? La réponse à la question précédente donne la réponse à celle-ci. Non, car pour abroger un rite légitime, il eût fallu que le NOM fût lui-même légitime. Or, le NOM n’est pas légitime. Donc, il n’a pu abroger le rite de la messe de saint Pie V. Quelle fut cependant l’intention de Paul VI ? Le livre de l’abbé Barthe donne des éléments historiques pour répondre à la question [2]. Celle-ci est brûlante, puisque, dans le Motu proprio Summorumpontificum du 7 juillet 2007, Benoît XVI affirme que l’ancien rite de la messe de saint Pie V n’a pas été abrogé par la réforme de Paul VI [3]. Est-ce exact ? L’Instruction de la sacrée Congrégation pour le culte divin du 20 octobre 1969 précise que le nouvel Missel réformé doit entrer en vigueur le 30 novembre 1969 et qu’à compter du 28 novembre 1971 il serait obligatoire. Les questions ne manquèrent pas. « Les demandes sur le caractère obligatoire ou non du nouvel Ordo Missae se multipliant, la Secrétairerie d’Etat, dominée par le cardinal Benelli, Substitut de tendance modérée, fit en sorte, pour ne pas envenimer les polémiques, qu’il n’y ait pas de réponse, notamment de la part de la Commission pour l’interprétation des documents du Concile » [4]. Cependant, le 17 octobre 1973, Mgr Bugnini adressa, comme Secrétaire de la Congrégation pour le culte divin, une réponse officielle à Mgr Sustar, Secrétaire du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe, affirmant qu’il fallait interpréter la clausule finale de la Constitution Missaleromanum comme indiquant l’abrogation du missel de saint Pie V. Surtout, Paul VI intervint lui-même encore plus clairement dans son discours au Consistoire du 24 mai 1976, en visant implicitement l’attitude de Mgr Lefebvre : « L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est pas du tout laissée au libre-arbitre des prêtres ou des fidèles. L’Instruction du 14 juin 1971 a prévu la célébration de la messe selon l’ancien rite avec l’autorisation de l’Ordinaire uniquement pour les prêtres âgés ou malades qui offrent le sacrifice divin sine populo. Le nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l’ancien après une mûre réflexion et à la suite des instances du Concile Vatican II. Ce n’est pas autrement que notre saint prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire le missel réformé sous son autorité. Avec la même autorité suprême qui nous vient du Christ Jésus, nous exigeons la même disponibilité à toutes les autres réformes liturgiques, disciplinaires, pastorales, mûries ces dernières années en application des décrets conciliaires » [5]. L’intention de Paul VI est donc parfaitement claire. Paul VI voulait abroger le rite de l’ancienne messe. Cette volonté s’est-elle exprimée suffisamment, à travers les formes juridiques requises, pour revêtir au moins l’apparence d’une légitimité, à défaut d’une légitimité réelle ? L’Instruction du 24 juin 1971 et la déclaration de Paul VI au consistoire, le 24 mai 1976, ont-elles la valeur juridique d’une abrogation ?  C’est aux canonistes d’en disputer.

 

3. Nous voudrions attirer l’attention du lecteur sur deux points. Premièrement, la raison profonde pour laquelle l’on doit dire que l’ancien missel n’a pas été abrogé est que la réforme liturgique de 1969 est dépourvue de toute légitimité. Ce n’est pourtant pas ce que dit le Motu proprio de Benoît XVI, qui, tout en affirmant que l’ancien missel n’a pas été abrogé, affirme la légitimité parfaite du Novus Ordo. Deuxièmement, lors d’un entretien accordé aux journalistes au cours du vol qui le menait en France pour son voyage apostolique, le 12 septembre 2008, le même Pape Benoît XVI a déclaré que « ce Motu proprio [SummorumPontificum] est simplement un acte de tolérance, dans un but pastoral pour des personnes qui ont été formées dans cette liturgie, l’aiment, la connaissent, et veulent vivre avec cette liturgie. C’est un petit groupe parce que cela suppose une formation en latin, une formation dans une culture certaine. Mais pour ces personnes avoir l’amour et la tolérance de permettre de vivre avec cette liturgie cela me semble une exigence normale de la foi et de la pastorale d’un évêque de notre Eglise. Il n’y a aucune opposition entre la liturgie renouvelée par le Concile Vatican II et cette liturgie »[6]. Un acte de tolérance : voilà qui rejoint l’esprit de l’Instruction du 24 juin 1971, ainsi que l’intention de Paul VI. On tolère un mal, ou un inconvénient, en vue d’un plus grand bien. Ici, le mal toléré serait la loi d’une prière (celle du missel de saint Pie V) qui n’est pas l’expression adéquate de la loi de la croyance (celle de Vatican II). Et le plus grand bien serait, comme l’explique Jean-Paul II dans le Motu proprio Ecclesia Dei afflicta, l’intégration des fidèles attachés à l’ancienne liturgie dans l’unité ecclésiale, fondée sur l’adhésion aux enseignements de Vatican II. Et dès lors que l’on estime que le mal toléré devient plus grand que le bien en vue duquel il est toléré, au point de le compromettre, la tolérance n’est plus de mise. Y aurait-il là l’explication de la décision prise par le Pape François dans son Motu proprio Traditionis custodes ? En tout état de cause, prise dans son principe, cette explication ne serait pas en contradiction, loin de là, avec l’intention de Benoît XVI.

 

Abbé Jean-Michel Gleize

 

[1]Cf le livre de Louis Salleron, La Nouvelle Messe celui de Xavier Arnaldo Da Silveira, La Nouvelle Messe de Paul VI, qu’en penser ? ainsi que les études de l’abbé des Graviers.

[2] Claude Barthe, La Messe de Vatican II, Via Romana, 2018, p. 121-125.

[3] « Proinde Missae Sacrificium, juxta editionem typicam Missalis Romani a B. Ioanne XXIII anno 1962 promulgatamet numquam abrogatam, uti formam extraordinariam Liturgiae Ecclesiae, celebrare licet ».

[4]Barthe, p. 123-124.

[5] AAS, t. LXVIII (1976), p. 374.

[6]AAS, t. 100 (2008), p. 719-720.

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