LA CONVERSION DES BÉNÉDICTINS ANGLICANS DE CALDEY
Publié dans le N°677 de la publication papier du Courrier de Rome
Le 8 mars 1913, on pouvait lire dans La Liberté de Fribourg l’articulet suivant :
« Grand émoi dans le monde anglican, en particulier dans ce monde qu’on appelle “la Haute Église ”. Vingt-trois “moines”, y compris “l’abbé” du monastère “bénédictin” dans la petite île de Caldey, sur la côte du Pays-de-Galles, et trente “religieuses” du couvent de Ste-Bride, affilié au monastère et situé sur la terre ferme, se préparent à entrer en bloc dans le sein de l’Église catholique . »
Un mois plus tard, le quotidien suisseajoutaitdesdétails :
« On annonce l’arrivée à Einsiedeln du R.P. Ælred, abbé du couvent de bénédictins de Caldey, en Angleterre. La Liberté du 12 mars a décrit l’histoire de cette abbaye, qui avait été fondée il y a environ quinze ans, par quelques prêtres anglicans, désireux de rapprocher leur vie religieuse des pratiques de la religion catholique.Mais, après de longues luttes dans le for de leur conscience, ils étaient arrivés à la conclusion que, pour atteindre leur but, ils devaient rompre avec l’Église anglicane et adhérer entièrement à la doctrine catholique. Le dénouement de ce drame religieux se produisit le 5 mars dernier, par la réception, dans le sein de l’Église, de l’abbé et de vingt et un religieux de cette abbaye.L’abbé Ælred, qui est accompagné de plusieurs Pères de son couvent, a l’intention de passer quelques jours à Einsiedeln . »
L’année suivante, le journal romandcontinuait à informer ses lecteurs :
« On sait que, l’an dernier, toute l’abbaye anglicane de Caldey (Angleterre) s’est convertie au catholicisme. L’abbé bénédictin de Caldey, Dom Ælred, est venu depuis faire son noviciat en Belgique à Maredsous. Le sous-diaconat vient d’être décerné à Dom Ælred à la cathédrale de Namur. En juillet, Dom Ælred sera ordonné prêtre, puis il ira reprendre la direction de son abbaye devenue catholique . »
Survenue durant le pontificat de saint Pie X,accompagnée par Dom ColumbaMarmion, la conversion des bénédictins anglicansde Caldeysemble être tombéedans le même oubli que l’œcuménisme de retour qui l’inspirait . Tâchons de l’en retirer.
1. Dom Ælred Carlyle et l’abbaye de Caldey
Benjamin Fearnley Carlyle nait le 7 février 1874. Passé par la Blundell’sSchool, il commence des études de médecine au St. Bartholomew’s Hospital de Londres. Membre de la High Church, passionnéàl’âge de 12 ans parMonks and Monasteries[Moines et monastères] du Révérend Samuel Fox, influencé par le mouvement d’Oxford , Carlyle adopte dès 1892 un style de vie conforme à la règle de saint Benoît.L’année suivante, il s’agrègeà la communauté des Oblats de saint Benoît —une sorte de tiers-ordre piloté par des bénédictins anglicans de Londres -et adopte lepatronyme de frère Ælred .
Désireux de restaurer en Angleterre l’ordre bénédictin dissout au 16e siècle par Henri VIII, Carlyle procède en trois étapes. Primo, il regroupe une dizaine d’hommes qui, bien que vivants dans le monde, observent les trois vœux religieux. Secundo, il projette de s’adonner à la vie commune, à l’apostolat et aux œuvres de charité à Dog Island, un quartier pauvre de l’est de Londres. La tentative se solde par un échec car, hormis celui qui l’y a invité, personne n’accepte de le suivre. Tertio, Carlyle revêt l’habit religieux blancet prononce ses vœux comme novice le jour de Pâques de l’an 1896 en la chapelle des bénédictines anglicanes de Malling Abbey.
Le 11 février 1898, il rencontre le Dr. Frederick Temple, archevêque de Canterbury, au palais de Lambeth. Il lui demande de recevoir ses vœux et de rétablir la vie bénédictine en Angleterre.Datée du 14 février 1898, la réponsearchiépiscopale s’avère positive .Six jours plus tard, Carlyle fait profession solennelle en la chapelle de Malling Abbey.
S’inspirant des écrits de DomJean-Baptiste Muardet des constitutions de la Pierre-qui-Vire, Carlyle résume sa pensée dans Our Purpose and Method [Notre but et notre méthode] publié en 1905. A l’époque, la brochure avait retenu l’attention de Dom Marmion et des moines de Maredsous en raison de sa fidélité à l’idéal de saint Benoît :
« Dom Romanus Rios, qui deviendra par la suite Père Abbé dans la Congrégation Cassinaise, est un moine espagnol qui a séjourné à Maredsous aux alentours de 1910. Là, il a entendu le Père Abbé Columba Marmionlire durant une récréation ce qu’il qualifiait d’“article sur les idéaux et la pratique de la vie bénédictine”. Or, sans que Romanus ou les moines belges le sussent, cette lecture était tirée en fait de l’OPAM [i.e. Our Purpose and Method]. Tous convinrent “de la perspicacité de l’auteur et du fait qu’il exprimait un idéal très cher à leur cœur”. Ils furent donc bien surpris d’apprendre de Columba Marmion que le texte en question avait été écrit “par un moine anglican qui était Père Abbé d’un monastère s’efforçant de faire éclore la vie bénédictine dans l’Église d’Angleterre” . »
Forte d’une dizaine de membres, la communauté réside successivement à LowerGuiting(Gloucestershire), Milton Abbas (Wiltshire), Caldey (Pembrokeshire) et Painsthorpe (Yorkshire).En 1902, Carlyle est élu Père Abbé par ses compagnons. L’élection ayant été ratifiée par le Dr. Temple, il est solennellement installé dans sa charge le 30 octobre 1903 par Charles C. Grafton, évêque anglican de Fond-du-Lacdans le Wisconsin :
« L’archevêque Maclagan donna son accord pour que l’évêque Grafton bénisse Ælred Carlyle comme Abbé bénédictin. Le 30 octobre 1903, “avec l’autorisation de l’archevêque d’York”, Grafton “a conféré la bénédiction abbatiale au frère Ælred Carlyle et l’a installé comme Abbé de Painsthorpe. […] L’évêque Grafton a aussi ordonné Carlyle sous-diacre, ordre aboli sous la Réforme” . »
L’année suivante, Carlyle est ordonné prêtre selon le rite en usage chez lesanglicans :
« Le 19 octobre 1904, l’Abbé Ælred Carlyle et un des moines sont partis pour l’Amérique et la cérémonie d’ordination privée. […] Le 15 novembre 1904, l’évêque Charles Grafton a ordonné prêtre l’Abbé Ælred Carlyle dans cette même église [Saint Peter’s Church à Ripon] où il lui avait conféré le diaconat trois jours auparavant. »
Averti de la vente de l’abbaye de Caldey, Carlyle achète la petite île dont il prend possession avec ses compagnons le 18 octobre 1906.L’histoire monastique de l’île plonge ses racines loin dans le passécar« Caldey, c’était l’antique LlandIltyd, l’île de saint Iltyd, qui, dès le cinquième siècle, c’est-à-dire avant même l’arrivée des moines romains, envoyés par saint Grégoire, avait été le berceau d’une communauté de moines celtiques ».
La situation des bénédictins de Caldey ne laisse toutefois pas d’être paradoxale :
« Ils savouraient, dans le chœur de l’abbaye, les psaumes du bréviaire et les prières de la messe en langue latine. Mais dans la petite église de Caldey, dont ils avaient la charge, ils s’en tenaient docilement aux prescriptions et aux formules du Prayer Book.
« Ils observaient, dans toute la ferveur de leur âme, la règle de saint Benoît, et ils voyaient, avec une tristesse amère, les fils de saint Benoît, ornement de l’Église catholique, refuser de voir en eux des frères, de légitimes enfants du saint patriarche.
« L’abbé portait la croix, et la crosse et la mitre. Et ils savaient par la tradition et les écrits de leur ordre, que ces insignes de la dignité épiscopale n’étaient concédés aux abbés que par un privilège de ce pontife romain, dont ils refusaient de reconnaître pratiquement le souveraine autorité . »
Fidèles à la devise bénédictine, les moines de Caldey s’adonnent à la louange divine (ora) et à l’édification de leur monastère (labora). Ils assurent également l’aumônerie et la direction spirituelle d’une communauté de bénédictines anglicanes installée sur la terre ferme, à Milford Haven.
2. Les prodromes d’une conversion
Le 13 décembre 1911, Carlyle écrit au nouvel archevêque de Canterbury- le Dr. Randall Davidson -pour solliciter deux faveurs. D’abord, l’approbation dela communauté comme son prédécesseur- le Dr. Frederick Temple - l’avait fait en son temps. Ensuite, la permissionpour Carlyle de prêcher et d’exercer le ministère sacerdotal dans toute la province ecclésiastique. Suit un échange de courriersdans lesquels le secrétaire de l’archevêque sollicitede Carlyle une documentation complète(règle, constitutions, etc.) quecelui-ci luifaitparvenir au fur et à mesure.
En parallèle, Carlyle écrit le 24 juillet 1912 à l’évêque Crafton qui l’avait ordonné.Il lui demanded’ordonner deux de ses moines destinés à célébrer la messe pour la communauté. Carlyle prend soin de préciser qu’à ce stadeni lui-même ni ses compagnons n’envisagent de se rapprocher de l’Église catholique . L’évêque Crafton donne son accord de principe pourvu que l’archevêque de Canterbury autorise l’ordination. Sur ces entrefaites, l’évêque Crafton meurt soudainement le 30 août 1912.
L’archevêque de Canterbury demande alors à la communauté de se choisir un visiteur épiscopal. L’évêque d’Oxford- le Dr. Charles Gore - est choisi et invité dèsoctobre 1912 à passer une journée au monastère.Defait, le prélatenvoiedeuxclercs - DarwellStone et D.W. Trevelyan— qui débarquent à Caldey le 3 janvier 1913.Ils remettent leur rapport à l’évêque d’Oxford à la fin du même mois.
Après lecture, le Dr. Charles Gore envoie à Carlyle une missivedestinée à baliser le processus de reconnaissancede la communauté monastique par les autorités anglicanes :
« 1. […] Je pense que je ne pourrais devenir Visiteur épiscopal d’une institution qu’après m’être assuré que la propriété de cette institution – bâtiments et autres biens – est légalement assumée par l’Église d’Angleterre et ne constitue pas une propriété privée telle qu’un individu ou un groupe de personnes pourrait en faire don ou cession à toute personne ou communauté sans lienavec la communion avec Canterbury.
2. Je suis absolument certain que ni moi, ni aucun autre évêque ne pourrait devenir Visiteur de votre communauté sans que ses prêtres aient prêté le serment habituel et fait la déclaration usuelle avant d’être autorisés à exercer leur ministère. Il en résulterait forcément, selon moi, que la Liturgie, à savoir l’Office de la Communion tiré du Prayer Book, devrait être à l’avenir le seul rite en usage dans la (ou les) chapelle(s) de la communauté, et que les prêtres, quoi qu’ils en pensent, seraient tenus de réciter les Prières du Matin et du Soir.
3. Je suis égalementsûr que je ne pourrais devenir Visiteur de votre communauté (et je crois qu’il en irait de même de tout autre évêque) à moins que la doctrine de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge – je songe également à l’Assomption corporelle – n’ait été éliminée du bréviaire et du missel. J’ai la certitude que la célébration publique de ces fêtes et la profession publique de ces doctrines – dans le cadre de la foi commune – ne peuvent se justifier que sur la base d’une autorité pontificale stricto sensu. Vous ne pouvez raisonnablement, me semble-t-il, invoquer cette autorité à des fins de dévotion et y recourir simultanémentpour justifier votre statut de communauté bénédictine. J’imagine qu’à la réflexion, vous ne pourrez que percevoir le bien-fondé de ce raisonnement .
4. Je ne pourrais devenir Visiteur d’une communauté que si l’exposition et la bénédiction du Saint-Sacrement y étaient abandonnées. Il faudraiten dire autantde l’exposition et de la bénédiction desreliques.
Je ne puis promettre que cette liste soit exhaustive. Il me faudra examiner minutieusement plusieurs détails et prendre en considération, d’une part, le principe général des règles à suivre et, d’autre part, la position exceptionnelle de votre communauté. Tout cela occasionnerait beaucoup de travail et de difficultés de part et d’autre. Je ne m’y suis pas vraiment attelé, et c’est pourquoi je ne puis faire aucune promesse à cet égard. Mais ce que j’affirme ci-dessus constitue des préliminaires qui me semblent incontournables et hors de toute possibilité de marchandage et de concessions, et je ne crois pas utile de poursuivre plus avant tant que ces préliminaires ne serontpas tenus pour acquis . »
Arrivé à ce point, quelques éclaircissements s’avéraient nécessaires. Carlyle les détailleau Dr. Gore avant d’en parler à la communauté réunie :
« Quelques mots de votre part sur les points suivants seraient, je le sais, très profitables à la communauté et m’aideraient beaucoup à compléter et à commenter vos récentes requêtes lors du Chapitre de dimanche.
(1) La présence objective et réelle de Notre-Seigneur dans la Sainte Eucharistie qui doit être vénérée et adorée ; notre coutume de chanter Adoremus in æternumSanctissimum Sacramentum avant et après chaque office au chœur devrait donc être permiseen tant qu’expression de notre foi.
(2) La réserve eucharistique sous une seule espèce au maître-auteldestinée – en dehors de la messe – à donner la communion aux malades (ce qui arrive fréquemment) ou à ceux qui en ont besoin. Enseigner la présence de Notre-Seigneur dans le Saint-Sacrement ne saurait être matière ni à condamnationni à excuse.
(3) L’invocation de la Bienheureuse Vierge et des Saints contenue dans des dévotions aussi typiques que le Je vous salue Marie, la prière du rosaire, la Litanie de la Bienheureuse Vierge Marie, la Litanie des Saints, lesAntiennes à la Vierge Marie avec versets et oraison inséréesà la fin des Complies dans les bréviaires bénédictins et autres.
(4) Les restrictions apportées à la récitation du Bréviaire bénédictin dans la communauté.
(5) Les prières et Messes spéciales pour le repos des défunts, avec l’usage des collectes propres mentionnant les noms des disparus.
(6) Possibilité de sanctions pour l’usage du Service de Communion en latin, incluant le Canon de la Messe ainsi que le Propre et le Commun des Saints en usage dans la chapelle de l’Ordre exclusivement.
Telles sont, je crois, les questions essentielles qu’il faut examiner sans retard, et je ne suis pas étonné qu’aujourd’hui les membres de la Communauté aient besoin d’assurances à cet égard, étant donné l’extraordinaire diversité des croyances et la fébrilité de la recherche intellectuelle en matière de foi, ce qui accroit notre responsabilité à l’heure deprendre position. Je puis vous assurer que tous les frères sont désireux de se soumettre loyalement à l’autorité catholique ; et je vous serais très reconnaissant si vous pouviez m’aider à leur donner une idée de ce que vous attendez d’eux, outre lesrestrictions déjà signalées comme allant de soi. . »
Dans sa réponse, l’évêque d’Oxford se veut à la fois conciliant et ferme:
« Tout d’abord, je puis vous assurer que l’enseignement relatif à la présence objective de Notre-Seigneur dans le Saint-Sacrement ou l’adoration qui lui est rendue ne soulèvent aucune objection de ma part.
D’autre part, j’ai déjà répondu à la question évoquée au numéro 6. Je ne pense pas qu’onpuisse êtresanctionnépour utiliser la liturgie latine.
S’agissantde nombreuses autres questions, il faudrait faire montre d’un granddiscernement. Mon opinion était - et reste -que certaines d’entre ellesdoivent être traitées en priorité, et je pense que nous ferions bien de nous entendrelà-dessus avant d’aller plus loin . »
Ayant communiquéaux moines la positiondu Dr. Gore, Carlyleoppose une fin de non-recevoir au dilemme imposéà la communauté:
« En tant que communauté, nous avons étudié attentivement vos deux dernières lettres, et nous sommes convenus qu’il nous est impossible, en conscience, de nous conformer à vos exigences.
Étant donné la demande de Votre Seigneurie que nous cédions immédiatement en matière de propriété, de liturgie et de dévotions, ainsi que votre refus très net de toute sorte d’assurance quant à ce que vous pourriez encore exiger de nous, nous avons la certitude que si nous accédions à vos souhaits actuels, il nous serait impossible de mener notre vie de communauté contemplative conformément à la Règle bénédictine.
Les préliminaires qui semblent si évidents à Votre Seigneurie qu’ils échappent selon elle à “toute possibilité de marchandage et de concessions”, portent sur des questions qui sont vitales pour notre conception de la foi catholique ; et vos exigences sont si fermes que nous sommes forcés d’agir selon ce que nous croyons être lavolonté de Dieu pour nous . »
L’évêque d’Oxford fait une dernière tentative pour appeler Carlyle et ses compagnonsà reconsidérer leur position. Carlyle y répond longuement le jour même. Il précise que la décision prise n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les autorités catholiques, lesquelles sont paradoxalement les seules à pouvoir garantir l’exercice de la vie religieuse bénédictine :
« Nous n’avons conçu aucune sorte de plan, et il n’est pas question de passer un accord avec les autorités catholiques, dans la mesure où nous envisageons une soumission absolue et inconditionnelle. Nous ne pouvons vous assurer d’une pareille soumission en raison des conditions que vous avez fixées et qui vont à l’encontre de notre foi comme de notre conscience. Nous abandonnons à la Providence divine tout ce que l’avenir nous réserve. La seule chose qui est certaine, c’est que nous ne pouvons plus demeurer au sein de l’Église d’Angleterre. […] Dans notre cas, c’est au principe d’autorité que nous en appelons. Nous nous soumettrons à l’Église de Rome parce que nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il ne peut y avoir aucune forme organisée et stable de vie catholique hors de la communion avec le Saint-Siège, laquelle a été rompue par nos ancêtres anglais . »
Forts de lumières nouvelles, les moines de Caldeyse résolventà solliciter sans délai ce qu’ils se refusaient encore à envisager quelques mois auparavant, à savoir l’entrée dans l’Église catholique :
« S’agissant de notre agir actuel, on songera immédiatement à la décision prise l’annéepasséeau sujet de la question romaine. Tout ce que je puis dire, c’est que nous sommes actuellement dans des circonstances entièrement différentes. L’un des principes directeurs de notre vie de communauté a été de ne jamais prendre de mesure qui ne soit manifestement juste. A chaque fois, c’est la force de circonstances extérieures qui nous a indiqué la marche à suivre ; et chaque fois que nous avons appliqué ce principe ne cédantni à une impulsion ni à la commodité, nous avons agi comme il convenait. L’année passée, il nous était clairement apparu que nous aurions tort de changeren quoi que ce soit. La volonté divine n’était alors pas évidente à nos yeux, et nous avions alors décidé de rester dans l’Église d’Angleterre. Mais pour les raisons que j’ai clairement indiquées, nous estimons à présent que notre vie a changé du tout au tout, et nous n’avons plus aucun doute sur ce que nous devons faire . »
Loin de précéder la Providence, les bénédictins anglicans de Caldeyentendentbien la suivre lorsqu’elle se manifeste clairement.
3. Le retour à la communion de l’Église
Pour guidersa communauté dans ce moment délicat, Carlyle fait appel à Dom Bède Camm :
« Je vais inviter Dom Bede Camm, O.S.B., qui n’a pas la moindre idée de ce qui se passe, à venir à Caldey pour nous prodiguer son aide et ses conseils. Je le fais parce que Dom Bede Camm est un converti lui-même et un bénédictin, mais je ne l’ai jamais rencontré. Je suis pourtant certain que cela suscitera des malentendus, et c’est pourquoi je tiens à souligner d’emblée, avec la plus grande fermeté, qu’il sera le premier catholique romain que j’aurai jamais approché à ce sujet . »
Arrivé le 25 février 1913, Dom Camm reçoit l’autorisationde célébrer la messe à Caldeytrois jours plus tard.Dès le 2 mars, le cardinal Rafael Merry delValadressepar télégramme aux moines de Caldeyles encouragements de saint Pie X :
« Le saint Père bénit affectueusement les nouveaux convertis de leur réception au sein [de l’Église], et prie le Seigneur de leur accorder l’abondance de toute grâce. Prière d’exprimer à tous et chacun des deux communautés la plus profonde et plus affectionnée sympathie . »
Dom Columba Marmion débarque sur l’île le lendemain. Il propose que les moines de Caldeysoient admisdans l’immédiatcomme oblats séculiers de Maredsousavant d’effectuer leur noviciat canonique - condition nécessaire pourprononcer validement des vœux de religion.
Le 5 mars, « la communauté fit sa soumission formelle à l’Église catholique. Agenouillés autour du Père Abbé Ælred, au milieu du chœur, [les moines] firent leur profession de foi dans l’Église catholique, [récitèrent] leur credo et [abjurèrent] l’hérésie et le schisme en présence de l’évêque [Mostyn] assis devant l’autel ».
Une cérémonie similaire se déroulele surlendemain au monastère de St Bride où34 des 37 moniales sont à leur tour reçues dans l’Église catholique par l’évêque de Menevia, Mgr Mostyn.
De nombreuses facilités sont accordées auxmoines de Caldeypour favoriser leur retour à la communion de l’Église :
• le monastère de Caldeyest intégré à l’ordre bénédictin,
• les moines feront leur noviciat sur place et Carlyle à Maredsous,
• seuls certains moines de chœurs seront destinés au sacerdoce ,
• la communauté adoptera l’habit blanc des cisterciens.
Quant à Dom Marmion, ilveillera personnellement surDom Ælred. Il l’emmènera à Rome rencontrer saint Pie X (16 mai 1913), l’intégrera au noviciat de Maredsous (juillet 1913), recevra sa profession solennelle à Maredous (29 juin 1914), sera témoinde son ordination sacerdotale à Maredsous (5 juillet 1914) et de sa bénédiction abbatiale à Caldey (18 octobre 1914).
4. Épilogue
Le sort des communautés de Caldey et de Milford Haven passe bientôt au second plandes préoccupations en raison de la première déflagration mondiale. Carlyle renonce en 1921 à sa charge abbatiale et s’exile l’année suivante en Colombie britannique (Canada).Il obtient en 1935 la dispense de ses vœux de religion. L’année suivante, il est incardiné dans le diocèse de Vancouver où il réside et œuvre dans l’apostolat jusqu’en 1951.
De retour en Angleterre en 1951, il devient oblat conventuel de l’abbaye de Prinknash où les bénédictinsde Caldey ont déménagé en 1928.Il reçoit en 1953 l’autorisation de faire à nouveau profession solennelle dans la communauté fondée par lui 60 ans auparavant. Il meurt le 14 octobre 1955. Sa dépouille est portée en terre avec les honneurs dus à un Père Abbé bénédictin.
Abbé François KNITTEL