INTERDIT SUR LE CARMEL
Publié dans le N°663 de la publication papier du Courrier de Rome
L’article « Interdit » du Dictionnaire de droit canoniquedirigé parRaoul Naz révèle au lecteur que « des interdits locaux se rencontrent même à notre époque. Un Carmel,alors en révolte, fut soumis à un interdit général, local et personnel, par un décret du 1er janv. 1921 (Bull. eccl. de Strasbourg, XL, 1921, p. 40) ». Mêmepour un clerc d’origine alsacienne l’allusion est sybiline.Larécente publication de L’Affaire de Marienthal chez ERCAL Publications est heureusement venue éclairer notre lanterne.
En effet, « Marc Feix, George Haeringer Deroche et Sœur Marie du Christ nous présentent dans cet ouvrage une page méconnue de l’histoire de l’Église en Alsace : l’interdit jeté sur le Carmel de Marienthal. […] Le présent ouvrage cherche à démêler ce qu’il est possible de désigner par “l’affaire de Marienthal” tant dans la presse de l’époque, que par les sources de la maison généralice des carmes à Rome et de l’évêché de Strasbourg . »
Les quatre chapitres qui composent l’ouvrage sont d’inégale valeur. Écrit au milieu des années 1980, le chapitre Irapporte les échos de l’affaire dans la presse de l’époque . A défaut d’informations fiables en provenance du carmel de Marienthal, de l’évêché de Strasbourg, de la Maison généralice des carmesou de la Congrégation des Religieux , les journaux s’en tinrentsouvent à desspéculations et desrumeurs. De facture plus récente, le chapitre II jette une lumière nouvellesur l’affaire grâce aux archives diocésaines et carmes désormais accessibles. Le fond de l’affaire est mieux cerné, mais de graves questions restent ouvertes faute d’avoir exploitéles archives de la Congrégation des Religieux. Le chapitre III,qui traite de la dimension canonique de l’affaire, butte sur la même difficulté. En l’absence de tout document issudes autoritésvaticanes conférant au visiteur apostolique le pouvoir de jeter l’interdit,le doute plane sur sa compétence en la matière . Le chapitre IV consacré à des productions artistiquesdont les thématiques ont une vaguesimilitude avecl’affaire de Marienthaln’apporteaucune lumière nouvelle.
La multiplicité des auteurs, des points de vue, des sources exploitées et des époques de composition rend la chronologie de l’affaire difficilement perceptible par le lecteur. Par ailleurs, les enjeux de l’affaire, en particulier les évolutions du droit de l’Église relatif au gouvernement spirituel des religieux et religieuses,restent flous. Nous commencerons donc par établir la chronologie linéaire des évènements de la fondation du carmel en 1887 à la clôture de l’affaire en 1931 avant de rappeler la législation canonique relative à la confession, à la direction spirituelle et à l’ouverture de conscience des âmes consacrées sur la même période.
1. Chronologie linéaire de l’affaire de Marienthal
L’affaire de Marienthal couvre quarante-quatre années durant lesquelles quatre papes se sont succédé sur le trône de Pierre —Léon XIII, saint Pie X, Benoît XV et Pie XI— et trois évêques ont occupé le siège épiscopalde Strasbourg —MgrPierre-Paul Stumpf et Mgr Adolf Fritzen durant l’annexion allemande, Mgr Charles Ruch après le traité de Versailles.
1.1Épiscopat de Mgr Pierre-Paul Stumpf (1887-1890)
Née à Haguenau le 28 mai 1849, fille deDominique Jenneret de Catherine Degen, Joséphine Jenner passe sa jeunesse à Marienthal où sa familles’estinstallée en 1851. Malgré les réticences de ses parents, elle entre au carmel d’Amiens où elle prend le voile le 25 juillet 1872 et reçoit lenom de sœur Marguerite du Saint-Sacrement .
Désireuse de fonder un carmel en Alsace, elle entreprend des démarches auprès du Statthalter Chlodwig de Hohenlohe-Schillingsfürst et reçoit du Ministère d’Alsace-Lorraine l’autorisationd’installerlecouventsur une propriété acquise par sa famille à Marienthal (15 octobre 1886).
Le carmel est érigé canoniquement par décret épiscopal du 15 octobre 1887. Les premiers bâtiments sont bénits dix jours plus tard. La communauté comprend alors sœur Marguerite du Saint-Sacrement —nommée prieure—,deux carmélites professes issues du carmel de Würzburg en Allemagne et trois postulantes. Mgr Fritzen consacrera la chapelle néo-gothique le 14 novembre 1895et béniratrois ailes du monastère le 17 juin 1903.
Dans l’esprit de Mgr Stumpf, la proximité géographique entre le carmel et le pèlerinage devaitfaciliter l’aumônerie du carmel et la confession des religieuses. Las, les rapports entre l’abbé Joseph Wernert, recteur du pèlerinage, et sœur Marguerite du Saint-Sacrement, prieure du carmel, ont étédès le débutexécrables. Lescarmélites reprochent à l’abbé Wernert de détourner les vocations du carmel, de fixer l’horairede la messe conventuelle aux aurores, dequalifier la chapelle du carmel d’oratoire privé afin qu’elle soitinaccessible au public, de n’avoir pas le temps pour confesser les sœurs. En outre, la prieureet le recteur s’accusent mutuellementde conspirer à la ruine économique del’œuvre concurrente .
Confronté à cette situation pénible, Mgr Stumpf publie le 23 juillet 1888 une Ordonnance par laquelle ilentend réglerles rapports entre le pèlerinage et le carmel :
« Art. 1 — M. le Supérieur de notre établissement diocésain de Marienthal est chargé de pourvoir au service religieux de la Communauté de carmélites, d’y faire, par conséquent, dire chaque jour une messe basse et d’y faire donner les saluts ou autres offices par Nous autorisés. Il pourra à cet effet désigner tel prêtre de la maison qu’il voudra, et aucun prêtre ne pourra faire dans la chapelle du couvent d’office de n’importe quel nom, sans y avoir été autorisé par lui.
« Art. 2 — Ordonnons pareillement, comme conséquence de ce qui précède, que toute demande d’autorisation d’un office qui nous serait à l’avenir présentée par la Supérieure de la Communauté, devra porter le visa de M. le Supérieur de Marienthal.
« Art. 3 — Nous nommons par les présentes, pour la durée de trois ans, confesseur ordinaire des religieuses carmélites, M. le Supérieur Wernert, et lui donnons en même temps la faculté de se faire remplacer (quand il sera absent) par l’un des ecclésiastiques retirés à Marienthal (en excluant toutefois ceux d’entre eux qui n’auraient pas encore atteint l’âge de quarante ans).
« Art. 4 — Mandons et ordonnons tant à la communauté des carmélites qu’au personnel de notre maison diocésaine de se conformer en tout aux prescriptions de la présente ordonnance . »
Les mesures édictées par le prélat sont conformes au droit de l’Église. On peut toutefois s’étonner que l’évêque désigne comme confesseur ordinaire des carmélites celui-là même avec lequel elles sont —à tort ou à raison— en conflit. Les carmélitesdiront plus tard :
« Ce n’était certes pas là la solution que nous étions en droit d’attendre, et nous savons que cette lettre ne renfermait pas les intentions de Mgr Stumpf. Mais Sa Grandeur, étant alors atteinte gravement d’une maladie de cœur, ces Messieurs de l’Ordinariat en avaient profité pour extorquer sa signature . »
L’Ordonnance demeure lettre morte,la prieure refusant, d’une part, que l’abbé Wernertdevienne confesseur ordinaire de la communauté et, d’autre part, que les demandes adressées à l’évêché portent son visa.
1.2 Vacance du siège épiscopal (1890-1891)
Mgr Stumpf meurt le 10 août 1890 à l’âge de 67 ans. Son successeur —Mgr Fritzen—est nommé le 24 janvier et sacré le 21 juillet 1891. Dans l’intervalle, le diocèse est administré par le chanoine Alexandre Strauben tant que vicaire capitulaire .Ces mois de vacance du siège épiscopal ne sont pas exempts de frictions entre le carmel et la curie diocésaine.
Les carmélites ont relevé deux incidents. Primo, constatant que la dot d’une novice n’est pas complète,le vicaire capitulaire refuse qu’elle prononceses vœux. Ilprofite de l’occasion pour rappeler à la prieure la teneur de l’Ordonnance épiscopale du 23 juillet 1888. Secundo, se fondant sur les usages diocésains qui privilégient les églises paroissiales pour l’exposition publique du Saint-Sacrement durant l’Octave de la Fête-Dieu, le vicaire capitulaire s’oppose à une initiativeen sens contraire de la prieure avant de l’autoriser finalement par mode d’exception .
1.3 Épiscopatde Mgr Adolf Fritzen (1891-1919)
1.3.1 Jusqu’à la mort de sœur Marguerite du Saint-Sacrement (1891-1909)
Mgr Fritzen manifestedès l’abordsa bienveillance pour le carmel .Ainsi, lorsque la commission épiscopale fait quelques observations au sujet de la future chapelle du carmel —observationsque la prieure attribue à la malveillance de l’abbé Wernert—, le prélat appuie le projet des carmélites.
La bienveillance du prélat n’esttoutefois pas synonyme de naïveté comme en témoigne le mémoiredu 22 juillet 1901dans lequel il égrène les litiges accumulés endix ans d’épiscopat . Si les carmélites se plaignent de leurs déboires avec les différents aumôniers et confesseurs , Mgr Fritzen faitce constat désabusé : « Aucune communauté de mon diocèse n’a usé autant de confesseurs ordinaires et extraordinaires et de chapelains que la Communauté du Carmel ».
Les annéespassent et les incidents se multiplient. Selon Mgr Fritzen, « il suffisait que, dans un cas particulier, les désirs du Carmel ne pussent être satisfaits, pour faire crier à la persécution ».
En 1895, la construction de la chapelle du carmel est l’occasion du différend déjà signalé avec lacommission épiscopale d’art sacré .
En 1897, l’évêque s’enquiert de la mise en œuvre au carmel du décret Quemadmodumrelatif à la manifestation de conscience dans les communautés religieuses . La prieure ne cache pas son agacement et son indignation devant ces questions .
Fin1898, après consultation du Saint-Office, l’évêque de Strasbourg interditune pratique superstitieuse diffusée par le carmel de Marienthal. La Prieure envoie alors à Rome une accusation en forme contre Mgr Fritzen. Une lettre de la Congrégation des Religieux du 28 janvier 1899 l’invite à plus de soumission aux décrets de l’évêque et du Saint-Siège .
Fin1900, la prieure demande à l’évêqueque leconfesseur ordinaire soit renouvelé dans sa charge. Mgr Fritzen répond que, selon le droit de l’Église, ce renouvellementdoit être soumis au vote de la communauté. Sourde auxavis contraires venusdes prieures des carmels de Paris et de Metz, de la Congrégation des Religieux et du cardinal Girolamo Gotti, la prieure s’y refuse . Elle finit par céder mais de si mauvaise grâce qu’elle suspecte le cardinal, pourtant ancien Préposé général des carmes, de vouloir attenter à la règle du carmel !
En 1901,à la demande de trois carmélites , Mgr Fritzen décide de procéder en personne à une visite canoniqueet d’interroger les sœurs à l’intérieur de la clôture (et non au parloir derrière les grilles et les rideaux). Par courrier du 21 mars 1901, la prieure proteste « contre ces infractions [aux] sacrées constitutions ». Initialement programmée pour le 28 mars 1901, la visite est repoussée d’abord au 30 mai, puis au 10 juin. La prieure demande alors aux religieuses interrogées par l’évêque de dire qu’elles sont très heureuses au Carmel, qu’elles n’ont rien à dire et que tout est la faute de sœur Thérèse de Jésus.
A l’issue de la visite, Mgr Fritzen rédige et communique aux carmélites un texte en quatre points stipulant « a) que dans les limites tracées par l’Église les sœurs sont libres pour la confession ; b) que le décret Quemadmodum concerne aussi le Carmel ; c) qu’elles ont le droit et le devoir de se taire sur ce qu’elles ont dit à la visite canonique ; d) que leur correspondance avec [l’évêque] ne peut pas être entravée ». Répondant le lendemain à l’évêque auxiliaire de Strasbourg, la prieure déclare entre autres :« On ne se fait pas religieuse pour se mettre sous la pantoufle de Messieurs les ecclésiastiques. Je vénère le saint ministère et le prêtre. En tant qu’homme je me méfie de tous ». De guerre lasse, l’évêque finit par demander —en vain— au cardinal Gotti le remplacement de la prieure par une religieusevenue d’un autre carmel .
L’abbé Wernertmeurten 1904 mais les craintes de la prieure à l’égard dela curie diocésainene disparaissent pas. A l’insu de Mgr Fritzen, ellese rend à Rome.Le pape saint Pie X la reçoit et lui accorde que le carmel de Marienthal soit désormais placé sous la juridiction du Préposé général des carmes. Rattaché à la province de Bavière, le carmel se voit alors attribuer par le Préposé général plusieurs aumôniers carmes, mais tous sont suspectéspar la prieure d’avoir été prévenus contre le carmelalsacien par la curie diocésaine .
Toujours à l’insu de l’évêque diocésain, la prieure fait un second voyage à Rome au terme duquelelle obtient que le cardinal Domenico Ferrata soit nommé protecteur du carmel de Marienthal. A cette occasion, elle est informée des nombreux griefs faitsau carmel par leclergédiocésain .
1.3.2 Sous le priorat de sœur Marie de Jésus (1909-1920)
La fondatricemeurt le 10 avril 1909 etsœur Marie de Jésus est choisie pour lui succéder commeprieure. Elle sera réélue en 1912 et 1919.Malgré le changement de supérieure, les incidents avec le clergé séculier se renouvellent d’année en année.
En 1909, le chanoine Ernest Mathis, recteur du pèlerinage et confesseur ordinaire au carmel, est accusé de vouloir mitiger la Règle en matière de pénitence, de détourner les vocations du carmel, d’inciter les aumôniers à abandonner le carmel, etc .
En 1911, deux sœurs de sang de sœur Marguerite du Saint-Sacrement revendiquentle titre de fondatrices du carmel —et les droits afférents, tel que l’entrée en clôture— au nom des aumônes somptuaires qu’elles auraient consenties au carmel. La prieure s’oppose à ces prétentionsd’ailleurs infondées avec le soutien de Mgr Fritzen. Pendant ce temps, le vicaire général Ignace Fahrner et le secrétaire général Joseph Wendlingprêtent une oreille complaisanteaux sœurs Jenner et enjoignent à la prieurede rembourser les aumônes consenties. Le procès au civil tourne à l’avantage du carmel .
En 1913, l’héritage laissé par Mlle Valetteau carmel donne lieu à une nouvelle passe d’armeentrele couvent, le pèlerinage et l’évêché. Le carmel finit par faire valoir ses droits .
En 1916, la nomination du confesseur ordinaire occasionnede nouvelles tensions. Selon le droit de l’Église, le confesseur de religieuses qui dépendent d’un supérieur régulier doit être présenté à l’approbation de l’évêque par le supérieur régulier et non par la prieure . Or, dans un premier temps, la prieure veut obtenir que le chanoine Mathis soit nommé pour un 4e triennat en se prévalant du vote des sœurs. L’évêché ayant rejeté cette procédurenon-canonique, la prieure propose alors directement à l’évêque de nommer le chanoine Joseph Victori. La fermeté du vicaire général Fahrner contraint finalement la prieure à se conformer au droit en vigueur .
La même année, une postulante allemande originaire de Karlsruhe —Berta Degen— quitte le carmel de Marienthal contre lequel elle porte plainte auprès de la curie diocésaine de Strasbourg. La plainte ayant été transmise à Rome, la Congrégation des religieux charge l’évêque de Strasbourg de procéder à une visite canonique « par les soins d’un délégué choisi par lui et ce au nom, par mandat et avec l’autorité du Saint-Siège ».Désignés par Mgr Fritzen, le vicaire général Fahrner et le chanoine Joseph Sommereisen procèdent à la visite canoniquele 31 mai 1917 . Le rapport, favorable au carmel , est envoyé à Rome le 14 juin 1917 et la Congrégation des Religieux en accuse réception le 30 novembre 1917, mais la prieure entretiendra toujoursdes doutes quant àl’envoi du rapport et àson contenu .
Le 18 septembre 1918, le chanoine Victori —confesseur ordinaire des carmélites depuis 1916—démissionne de sa charge. Initialement soutenu par la prieure , il est soudain accusé d’êtrefauteur de division de la communauté. Le P. Grégoire de Saint-Josephest envoyé par les autorités carmes pour se faire une idée sur place. Ayantécouté le chanoineVictori et les carmélites, il conseilleà ces dernières de résumerleurs griefs contre le chanoine dans un mémoire qu’elles adresserontau pape .
1.4 Épiscopat de Mgr Charles Ruch (1919-1945)
Sur les conseils duP. Grégoire de Saint-Joseph, les carmélites remettent à Mgr Ruch —nommé évêque de Strasbourgle 1er octobre 1919— le mémoiredéjà envoyé au pape. Sur ces entrefaites, deux affaires vont amener le Saint-Siège à diligenter d’abord une visite canonique, puis une visite apostolique.Primo, le carmel fait l’objet d’une plainte d’une ex-religieuse. Affirmant avoir été contrainte de signersa demande de sécularisation, celle-ci réclame d’êtredédommagée pour cette expulsion déguisée. La Congrégation des Religieux fait droit à sa demande de pension.L’évêque somme le carmel de s’exécuter mais la prieure ne veut d’abord pas en entendre parler . Secundo, sept postulantes, novices et religieuses sont sorties du carmel en quatorze mois, certaines portant de graves accusations contre la prieure.
Dans un rescrit du 4 décembre 1919, laCongrégation desReligieux demande à l’évêque de Strasbourg de procéder à une nouvelle visite canonique. Enraison d’un cafouillage,Mgr Ruchne réceptionnele document que le 12 mars 1920.Le chanoine L. Lutz est nommé le 18 mars 1920et se présente à Marienthal le 1er juin 1920accompagné de l’abbé Antoine Wurry —recteur de la basilique— et des abbés Michel et Nest —chapelains de la basilique.
La visite est un échec car les carmélites dénient toute autorité aux visiteurs, multiplient les accusations contre l’évêché, refusent de répondre aux questions, etc .Dans ces conditions, le P. Grégoire de Saint-Joseph suggère l’envoi d’un visiteur apostolique. Il suggère que ce soit un dominicain et l’évêque de Strasbourg souhaite qu’il soitgermanophone.
Désigné par la Congrégation des religieux, le P. Zadock Szabó se présente une première fois au carmel le 14 août 1920 en compagnie de l’abbé Müller. Pour la durée de la visite canonique, ilremplace la prieure et la sous-prieure par deux carméliteschoisies par ses soins. Loin de laisser œuvrer le visiteur apostolique qu’il appelait de ses vœux, le P. Grégoirede Saint-Joseph prend fait et cause pour les carmélites etse fait l’écho de leurs griefs contre le visiteur auprèsdu P. Ossmo, procureur général des carmes .
Le 19 octobre, le P. Szabóse présente à nouveau au carmel accompagné duchanoine Victori. Le visiteur consent à remplacer sœur Marie-Ange —nommée par lui prieure par interim à la mi-août— par sœur Marie de l’Incarnation. Le visiteur apostolique se rend ensuite à Rome pour rendre compte de son mandat. Il informe également le P. Ossmo de la situation :
« Je peux dire que la situation de ce monastère est vraiment intenable. Ce n’est pas possible qu’une communauté religieuse vive en continuelle lutte avec l’autorité ecclésiastique et avec les confesseurs comme malheureusement on peut le constater à Marienthal . »
Un décret de la Congrégation des religieux du 19 novembre 1920 confère au P. Szabó les pleins pouvoirs pour réformer le carmel de Marienthal . De retour au carmel le 31 décembreavec le P. Amand—capucin de Koenigshoffen—, il jetteun interdit local et personnel sur le couvent et ses occupantes. Toutes les sœurs sont concernées hormistrois tourières, trois malades et une sœur converse.
Devant le refus des sœurs de lui donner les clés du tabernacle, Le P. Szabó revient au carmel le 1er janvieravec un serrurieret retire le Saint-Sacrement du tabernacle. Deux sœurs tourières se jettent à ses piedspour empêcher sa sortie de la chapelle.En vain.
La peine médicinale de l’interdit n’obtient que peu d’effet : seule une tourière fait acte de soumission et obtient la levée de la peine.Les religieuses en appellentà l’opinion publique par le biais de la presse :
« On affirme que depuis l’interdit, les Religieuses reçoivent les curieux qui se présentent, leur exposent les faits à leur manière et inspirent des articles publiés par les mauvais journaux d’Alsace et de Paris, articles dans lesquels pullulent les mensonges et des accusations graves contre l’autorité ecclésiastique et le Saint-Siège . »
Les journaux avancent toutes sortes de raisons pour expliquer l’interdit jeté sur le carmel de Marienthal. Citons pêle-mêlel’autonomie revendiquée par lessœurspour choisir leurs aumôniers et leurs confesseurs , la division du carmel suite à la révélation des atrocités commises par les allemands durant la guerre , les conflits entre sœurs d’origine française et allemande , l’ouverture du testament d’une carmélite décédée en 1914 qui aurait prédit la défaite des allemands , l’opposition du carmel à la réquisition des cloches pendant la guerre , les mauvais traitements infligés à plusieurs postulantes ou sœurs , lasupposée germanophilie de Mgr Ruch oudu P. Szabó , le projet qu’aurait l’évêché de transformer le carmel en maison de retraite , les nombreux départs de postulantes ou sœurs , etc...
S’adressantau préfet de la Congrégation des religieux, Mgr Ruch constate laconiquement : « Un seul remède est efficace, la dissolution de la communauté. On enverrait dans d’autres maisons religieuses les sœurs qui se soumettraient et qui paraîtraient ne pas devoir être un danger pour les maisons qui les accepteraient ».Il fonde sa conviction sur l’avis des visiteurs apostoliques dont il loue la douceur, la patience et la sagesse, sur la gravité, l’ancienneté et l’universalité du mal, sur l’inefficacité de l’interdit, sur la publicité du mal et le scandale qui en résulte .
Le 15 février 1921, Mgr Ruch adresse une lettre à ses diocésainspour les éclairer sur la situation. Reprise par la presse, sa déclaration ne révèle qu’un seul motif à l’interdit : la désobéissance à l’autorité ecclésiastique .A ses yeux, « une religieuse qui n’est pas filialement soumise au Souverain Pontife n’est plus religieuse que de nom. […] Une résistance collective ayant été opposée à l’exercice de la juridiction ecclésiastique —et c’était la seconde fois— le délégué pontifical s’est vu contraint de porter contre le monastère l’interdit ».
A l’heure de quitter Marienthal le 18 février 1921, le P. Szabó remet aux sœurs le décret signé huit jours auparavant par pape Benoit XV et le cardinal Valfrè di Bonzo.Les sœurs y sont relevées de leurs vœux et la communauté religieuse y perdson statut canonique .
L’interdit est en vigueur durant deux ans, dix mois et vingt-sept jours. Des douzereligieuses du début, il n’en reste que quatreà la fin. Certaines religieuses sont parties, d’autres sont décédées sans sacrements, ni sépulture ecclésiastique .
Élu pape le 6 février 1922, Pie XI envoie à Marienthal le P. Maur Etcheverry —abbé bénédictin de Notre-Dame de Belloc— comme visiteur apostolique. La prieure, sœur Marie de Jésus, et la sous-prieure, sœur Germaine du Sacré-Cœur, sont convoquées à Rome en septembre 1923. Malade, la prieure se fait représenter par une autre religieuse.
Lors de l’audience du 23 septembre 1923, lecture est faite du décret papal qui lèvera l’interdit dès « qu’elles [auront] garanti leur sujétion et leur obéissance ». L’ex-prieure et l’ex-sous-prieure sont déposées. Sœur Germaine est transférée au carmel de Tre Madonna à Rome le 12 octobre 1923 par ordre de Pie XI. Quant àsœur Marie de Jésus, malade et intransportable, elle resteraà Marienthalcomme simple sœurjusqu’à sa mort le 23 décembre 1947. Le couvent est à nouveau canoniquement érigé et les sœurs restantes sont autorisées à prononcer à nouveau leurs vœux de religion. Deux carmélites issues du carmel de Tre Madonne sont nommées par le pape comme prieure et sous-prieure. L’interdit est levé publiquement le 27 octobre 1923. Le carmel de Marienthal reste dans l’immédiat sous la juridiction directe du Saint-Siège et de son délégué —le P. Maur Etcheverry .
L’affaire est définitivement close le 10 juin 1931 lorsque le P. Etcheverry est relevé de sa charge de supérieur délégué du monastère de Marienthal .
2. Évolution de la discipline canonique relative au gouvernement spirituel des religieuses
Alors que se déroule l’affaire de Marienthal, l’Église catholiquese dote progressivement d’une législation unifiée, cohérente et maniable. Élaboré sous le pontificat de saint Pie X, le Code de droit canonique est promulgué par Benoît XV en 1917.
Le gouvernement spirituel des âmes consacrées, qui estaucœurdes évènements de Marienthal, a fait l’objet de plusieurs mises au point d’importance entre 1890 et 1931 : les décretsQuemadmodum du 17 décembre 1890 et Cum de sacramentalibus du 3 février 1913, le code de droit canonique de 1917. Voyons cela en détail.
2.1 Le décret Quemadmodum du 17 décembre 1890
Selon le P. Creusen, « manifester sa conscience, c’est révéler ses fautes cachées (avec leur degré de culpabilité), ses actes de vertu intérieurs ou cachés, ses intentions, les affections et répugnances acceptées, les tentations ou épreuves auxquelles on est soumis par Dieu, les lumières et bons désirs reçus de Lui ».
Gouvernement des religieux et manifestation de conscience ont longtemps cheminé sur deuxvoies parallèles :
« Dans les Ordres monastiques, l’Abbé était, comme aux débuts de la vie cénobitique, à la fois le Supérieur et le Père spirituel des religieux volontairement groupés sous son autorité et sa direction. Le vœu de stabilité, l’uniformité de vie entre les moines n’offraient guère l’occasion d’utiliser pour le gouvernement les connaissances acquises par la manifestation intime de la conscience . »
La fondation des jésuites change la donne :
« S. Ignace chercha dans cette ouverture totale le moyen d’assurer un gouvernement très surnaturel et très paternel dans un Ordre voué aux formes les plus diverses d’apostolat. N’importait-il pas autant au bien des inférieurs qu’à celui des fidèles que la distribution des emplois et des ministères fût adaptée aux forces et aux faiblesses morales et spirituelles de chacun ? Le candidat était d’ailleurs averti de cette conception du gouvernement religieux. Il trouvait dans le caractère sacerdotal et la science théologique de son Supérieur de sérieuses garanties pour sa direction . »
L’intuitionignacienneinspira nombre de congrégations religieuses laïques. Mais, « si le principe du gouvernement basé sur une confiance entière et réciproque trouve son application dans toute famille religieuse, la pratique de l’ouverture de conscience, surtout obligatoire, ne rencontre pas dans les communautés laïques tous les correctifs nécessaires ».
Il en résultaitdes abus à répétition :« Des Supérieurs laïcs exigeaient, directement ou indirectement, des aveux réservés par leur nature au tribunal de la pénitence ; ils restreignaient indûment la liberté des confessions et se réservaient, dans l’usage de la Ste Communion, une direction qui était, en grande partie, du ressort de confesseur ».
Pour y porter remède, la Congrégation des Religieux publie le 17 décembre 1890 le décret Quemadmodum qui régule la manifestation de conscience dans les « congrégations ou sociétés […] de religieusesà vœux simples ou solennels et de religieux non admis au sacerdoce ».
Le décret « annule, abroge et déclare de nulle force à l’avenir toutes les dispositions des constitutions […] pour ce qui concerne la manifestation intime du cœur et de la conscience, quels qu’en soient le mode et le nom. […] [Il] annule également et supprime tous les usages en cette matière et les coutumes même immémoriales » (n° I).
En matière de manifestation de conscience, le décret
• « défend sévèrement aux susdits supérieurs de l’un et de l’autre sexe, quels que soient leur grade et leur prééminence, de chercher à amener les personnes qui leur sont soumises, directement ou indirectement, par précepte, conseil, crainte, menaces ou caresses, à leur faire cette ouverture de leur conscience » (n° II),
• « commande aux inférieurs de dénoncer aux supérieurs majeurs les supérieurs mineurs qui essayeraient de les y amener » (n° II),
• « n’empêche point du tout que les inférieurs puissent librement et d’eux-mêmes ouvrir leur âme aux supérieurs dans le but d’obtenir de leur prudence, au milieu de leurs doutes et de leurs anxiétés, conseil et direction pour l’acquisition des vertus et le progrès dans la perfection » (n° III).
S’agissant de la confession, le document « avertit les prélats et les supérieurs de ne pas refuser un confesseur extraordinaire à leurs inférieurs toutes les fois que ceux-ci en ont besoin pour pourvoir aux intérêts de leur conscience, sans que d’aucune façon les supérieurs recherchent le motif de cette demande, ou montrent qu’ils en sont mécontents » (n° IV).
Quant à la communion , il est stipulé que « les permissions et les défenses de ce genre regardent exclusivement le confesseur ordinaire ou extraordinaire, sans que les supérieurs aient aucune autorité pour s’ingérer dans cette affaire, excepté le cas où un de leurs subordonnés aurait, après sa dernière confession sacramentelle, donné du scandale à la communauté ou commis une faute extérieure grave, jusqu’à ce qu’il se soit de nouveau approché du sacrement de pénitence » (n° V).
Du reste, « celui qui aura obtenu de son confesseur la permission de la communion plus fréquente ou même quotidienne devra en informer son Supérieur » et« si celui-ci croit avoir de justes et graves raisons de s’opposer à ces communions plus fréquentes, il devra les faire connaître au confesseur, au jugement duquel il faudra absolument s’en tenir » (n° VI).
Finalement, obligation est faite aux supérieurs religieux
• « d’observer soigneusement et exactement les dispositions de ce décret, sous les peines encourues ipso facto par les supérieurs qui violent les commandements du Siège Apostolique » (n° VII),
• d’insérer « des exemplaires du présent décret, traduits en langue vulgaire, dans les constitutions des pieux instituts susdits » et de les faire lire« à haute et intelligible voix, au moins une fois dans l’année, à une époque fixée, dans chaque maison, soit à la table commune, soit dans un chapitre spécialement convoqué à cet effet » (n° VIII).
2.2 Le décret Cum de sacramentalibus du 3 février 1913
La multiplication des lois relatives à la confession des moniales et des sœurs a conduit la Congrégation des religieux à les réunir en un seul document « après les avoir en partie modifiées et logiquement coordonnées ».
Publié le 3 février 1913, le décret Cum de sacramentalibus commence par distinguer les différents confesseurs des moniales et des sœurs, certains étant nommés par l’Évêque ou l’Ordinaire (1-4) et d’autres choisis par la pénitente elle-même (5-6) :
1. le confesseur ordinaire attaché pour trois ans à chaque communauté de moniales et de sœurs (n° I). Un 2e ou 3e triennat ne serait envisageable que « si par suite de la pénurie de prêtres aptes à ce ministère, [l’Évêque ou l’Ordinaire] ne peut y pourvoir autrement » ou « si la majorité des religieuses, y compris celles qui dans les autres affaires n’ont pas droit de vote, s’entendent en scrutin secret, pour demander la confirmation de ce confesseur ». L’Évêque (ou l’Ordinaire) devraitalors pourvoir autrement aux nécessitésdes religieuses de la minorité qui le souhaitent (n° II),
2. le confesseur spécial qu’une religieuse peutsolliciter « pour la paix de son âme ou un plus grand progrès dans les voies de Dieu » (n° V),
3. le confesseur extraordinairede la communauté qui se présente « plusieurs fois par an » et « à qui toutes les religieuses devront se présenter, au moins pour recevoir sa bénédiction » (n° III),
4.des confesseurs adjoints « que les religieuses dans des cas particuliers [peuvent] facilement appeler pour entendre leurs confessions » (n° IV),
5. le confesseur occasionnel auquel les moniales ou les sœurs « qui pour une raison quelconque se trouvent hors de leur couvent » peuvent recourir « dans n’importe quelle église ou oratoire, même semi-public », pourvu qu’il soit approuvé pour la confession des femmes (n° XIV),
6. en cas de maladie grave, « bien qu’il n’y ait pas danger de mort, moniales et sœurs peuvent appeler n’importe quel prêtre approuvé pour la confession des femmes, et, tant que dure la gravité de leur état, se confesser a lui aussi souvent qu’elles le voudront » (n° XV).
L’Ordinaire du lieu choisit les confesseurs ordinaires et extraordinaires pour les maisons religieuses qui lui sont soumises ; il approuve et confère les pouvoirs aux confesseurs proposés par le supérieur religieux pour les maisons qui dépendent de la juridiction de ce dernier (n° VI).
Plusieurs critères doivent présider au choix des confesseurs :
• l’origine : les confesseurssont des prêtres quiappartiennent soit au clergé séculier soit au clergé régulier (avec la permission des supérieurs), « pourvu toutefois, dans les deux cas, qu’ils n’aient au for externe aucun pouvoir sur ces religieuses » (n° VII) ;
• les qualités : ils doivent « avoir quarante ans révolus » et se distinguer« par l’intégrité de leur vie et par leur prudence ». Pour un motif légitime, l’Évêque pourrait déroger à la première condition mais pas à la seconde (n° VIII) ;
• les charges antérieures : un « confesseur extraordinaire peut être choisi immédiatement comme ordinaire », mais « un confesseur ordinaire ne peut être désigné comme confesseur extraordinaire, ni —hormisles cas énumérés àl’article II— être denouveau choisi comme ordinaire dans la même communauté, avant une année révolue après l’expiration de sa charge » (n° IX).
Afin que le ministère de la confession des religieuses soit fructueux, le décret adresse ses recommandations :
• aux confesseurs : « Tous les confesseurs, soit de moniales, soit de sœurs, se garderont bien de s’immiscer dans le gouvernement soit extérieur soit intérieur de la communauté » (n° X), « Si les confesseurs spéciaux appelés dans le monastère ou dans la maison religieuse constataientqu’aucun juste motif de nécessité ou d’utilité spirituelle ne légitime la démarche des religieuses, ils les congédieront avec prudence » (n° XIII) ;
• aux supérieures : « Si une religieuse demande un confesseur extraordinaire, aucune supérieure n’a le droit d’en rechercher le motif, ni par elle-même, ni par d’autres, ni directement, ni indirectement ; elle ne peut s’opposer, ni par les paroles ni par les actes, à cette demande, et ne doit en aucune manière témoigner qu’elle en éprouve de la peine » (n° XI) ;
• aux religieuses : « Que les religieuses ne parlent jamais entre elles des confessions de leurs compagnes ; qu’elles ne se permettent pas de critiquer celles qui se confessent à un autre quele confesseur désigné ; autrement, qu’elles soient punies par leur supérieure ou par l’Ordinaire » (n° XII), « On avertit aussi les religieuses de n’user de cette permission de demander un confesseur spécial, que pour le bien spirituel et le plus grand progrès dans les vertus religieuses, faisant abstraction de toute considération humaine » (n° XIV).
Toutes ces dispositions canoniques concernent « toutes les congrégations religieuses de femmes, tant à vœux solennels qu’à vœux simples », « les oblates et les autres pieuses communautés qui ne sont liées par aucun vœu, ne fussent-elles que des Instituts diocésains » ainsi que les « les communautés soumises à un Prélat régulier » (n° XVI).
Obligation est faiteaux supérieurs religieux d’ajouter ce décret « aux règles et constitutions de chaque famille religieuse » et d’en faire lecture « publiquement en langue vulgaire au chapitre de toutes les religieuses une fois par an » (n° XVII).
2.3 Le code de droit canonique de 1917
Promulgué le27 mai 1917 et rendu obligatoire le19 mai 1918, le code droit canonique pio-bénédictin reprend en substance les dispositions des deux décrets susmentionnés relatifs au gouvernement spirituel des religieuses.
Du côté des âmes consacrées, « l’Église veut que les religieuses se confessent habituellement au confesseur de la communauté, à moins qu’elles n’aient, par exception, obtenu de l’Ordinaire un confesseur particulier ; que toutes se présentent, au moins quatre fois par an, au confesseur extraordinaire de la communauté ; que les religieuses gravement malades aient la plus grande liberté dans le choix de leur confesseur ; que les autres puissent, pour un motif surnaturel, s’adresser, en des cas qui resteront particuliers, à tout prêtre approuvé pour les confessions des femmes ».
Du côté des confesseurs, « les cardinaux exceptés (c. 239), nul ne peut exercer validement l’office de confesseur ordinaire ou extraordinaire des religieuses sans en avoir reçu le pouvoir de l’Ordinaire diocésain. Pour entendre validement la confession de n’importe quelle religieuse ou novice, tout autre prêtre doit avoir reçu de l’Ordinaire au moins juridiction pour entendre les confessions des femmes. S’il n’a pas de juridiction spéciale, le prêtre ne pourra donner validement l’absolution sacramentelle aux religieuses que dans un lieu approuvé pour entendre les confessions des femmes (c. 522). La licéité de la confession exigera de plus qu’on observe les prescriptions du code concernant le motif et les circonstances (paix de la conscience ; cas particuliers ; maladies grave) (c. 522, 523) ».
Mais le code de droit canonique de 1917 apporte à la discipline antérieure quelques précisions et inflexions qu’il convient de noter.
Primo, l’évêque qui confère la juridiction aux différents confesseurs a également le pouvoir de les révoquer :
« Pour une cause grave, l’Ordinaire du lieu peut révoquer les confesseurs ordinaires et extraordinaires de religieuses, fussent-ils réguliers, et même dans les monastères de moniales. Il n’a à rendre compte de ses motifs qu’au Siège apostolique qui l’interrogerait ; il doit toutefois informer le supérieur régulier de la mesure prise, quand les moniales sont soumises à des réguliers . »
Secundo, l’obligation qu’a l’Ordinaire du lieu de désigner un confesseur ordinaire pour toute communauté religieuse s’applique également aux communautés non formées, à savoir celles qui comptent moins de 6 professes .
Tertio, l’obligation d’avoir un confesseur ordinaire concerne aussi bien les religieuses professes que les novices : « En ce qui concerne le confesseur dans les noviciats féminins, on observera les prescriptions des canons 520-527 ».
Quarto, la faculté de recourir à un confesseur occasionnel, réservéejusque-là aux religieuses se trouvant hors de leur couvent, est étendue aux moniales cloîtrées qui, dans l’église ou oratoire du couvent voire en tout lieu légitimement destiné à entendre les confessions des femmes,peuvent solliciter tout confesseur autorisé pour entendre les femmes en confession :
« Il faut comprendre le c. 522 dans ce sens que les confessions, faites par les religieuses pour la tranquillité de leur conscience à un confesseur approuvé pour les femmes par l’Ordinaire du lieu, sont licites et valides pourvu qu’elles soient faites à l’église, dans un oratoire même semi-public ou dans un endroit légitimement destiné à entendre les confessions des femmes . »
Quinto, pour absoudre validement, le confesseur occasionnel doit être sollicité par la religieuse :
« Le canon suppose donc une occasion de s’adresser au confesseur, et non pas que celui-ci ait été appelé ; en d’autres termes, il faut que la religieuse se présente au confessionnal, et non pas que le confesseur invite la religieuse ou bien, se trouvant p. ex. dans la maison, s’offre à elle pour la confesser . »
Sexto, le canon 530 § 1 interdit la manifestation de conscience à tous les supérieurs religieux, qu’ils soient laïcs ou prêtres :
« Le décret Quemadmodum, du 17 déc. 1890, interdit à tous les supérieurs laïques d’exiger des révélations [de conscience] ; on fit même effacer des constitutions les textes opposés. […] Plus radical encore à certains égards, le Code étend la défense à tous les supérieurs sans exception, donc même aux prêtres. Mais il ne s’oppose aucunement aux ouvertures spontanées . »
Conclusion : la sagesse pratique du droit
Lorsque deux époux sont amenés à se séparer, l’expérience montre que les torts sont très souvent partagés, les exceptions ne faisant que confirmer la règle. On pourrait en dire autant des conflits nés à l’occasion du gouvernement spirituel des âmes consacrées. Tant que chacun reste dans le cadre défini par le droit, la justice préside aux relations mutuelles pour le bien des uns et des autres. Dès que le droit est ignoré ou méprisé, les relations mutuelles se transforment en rapports de force au détriment des uns et des autres.
Soucieux de justice, Dom Bastien donnait ce conseil aux supérieures de communauté religieuses :
« Les Supérieures doivent inculquer à leurs subordonnées le respect dû au confesseur, et ne jamais permettre que l’on amoindrisse son autorité par des plaisanteries sur sa simplicité, ses travers, ses manières. On doit toujours se souvenir du caractère auguste que revêt le prêtre. Les Supérieures ne doivent pas davantage pousser l’indiscrétion et l’arbitraire jusqu’à déterminer la durée des confessions et interroger leurs subordonnées sur ce que le confesseur leur a dit au saint tribunal . »
Il se tournait ensuit vers lesprêtres chargés de les confesser :
« Les confesseurs des religieuses, tant ordinaires qu’extraordinaires, ne s’immisceront en aucune manière dans le gouvernement soit intérieur soit extérieur de la communauté. […]
Agir en effet autrement serait outrepasser les pouvoirs qui ont été concédés au confesseur ; de plus, ainsi que l’expérience le prouve, il pourrait jeter le trouble dans la communauté et diminuer l’autorité de la Supérieure. Il ne lui est cependant pas défendu de donner un conseil, quand on le lui demande, soit pour ce qui regarde l’administration des biens, soit pour le gouvernement de la communauté . »
« Que celui qui a des oreilles entende ! » (Mt 11, 15)
Abbé François Knittel