QUELLE HISTOIRE ?



Publié le 06/06/2022 sur internet
Publié dans le N°652 de la publication papier du Courrier de Rome



1.Le dernier livre de Monsieur Yves Chiron, Histoire des traditionalistes vient de paraître aux Editions Tallandier. La quatrième de couverture vante « un livre de référence, qui fera date sur le sujet ». Mais quel est, précisément, le sujet de ce livre ? Ce sont « les traditionalistes ». Ce n’est pas « le Traditionalisme ». L’auteur ne nous livre pas, avec sa dernière publication, ce qui eût pu être une « Histoire de la Tradition catholique ». Et des traditionalistes à la Tradition, la différence ne saurait être sous-estimée.

Quel angle d’approche ?

2. L’historien français bien connu, Pierre Gaxotte (1895-1982), nous a laissé une Histoire des Français. Lors de sa parution, en 1951, cette vaste fresque retint toute l’attention des différents recenseurs. Aucun d’entre eux ne s’y trompa : une Histoire des Français ne saurait être la même chose qu’une Histoire de France. « En quoi », se demandait justement l’un d’eux, « cette Histoire des Français se distingue d’une Histoire de France à la Jacques Bainville ? La question paraît oiseuse. Les deux titres nous avertissent, en tout cas, que le dessein n’est pas le même. Un Bainville tente d’articuler, dans une sorte de construction logique, l’histoire de son pays ; il se laisse attirer par les lignes maîtresses, les dégage, en suit les courbes et, de préférence, fait ressortir les causes majeures, celles, comme dit Bossuet, "dont le contre-coup porte si loin". Tout autre est la méthode de Monsieur Gaxotte ; il raconte, il expose, il décrit patiemment hommes et sociétés. Son procédé est surtout celui de l’analyse ; et je ne jugerais pas qu’il ne cède parfois à sa virtuosité d’analyste » . L’analyste concentre tout son effort sur la description de pièces détachées. La synthèse - avec l’explication profonde des faits qu’elle rattache les uns aux autres, et telle qu’elle ressort naturellement de ces faits préalablement exposés – lui est malaisée, en raison même de l’optique qu’il s’est initialement impartie. « Lorsqu'il s'agit », observait un autre recenseur du livre de Pierre Gaxotte, « de décrire en un milier de pages l'histoire d'un pays sur quelques milénaires, il faut bien dégager quelques constantes et s’y tenir, après avoir montré leur permanence. Peu d'historiens ont osé se risquer à ce genre de synthèse affective, qui se doit d'embrasser l’extrême complexité des caractères et des tempéraments et,au-delà, les transcender : d’autant qu’il n’y a pas de rapports nécessairement immédiats entre le génie d'un peuple et les vicissitudes de son histoire, entre les vertus de son existence domestique et les débordements de sa vie publique » . Pris comme tel, l’individu est ineffable : on ne peut que le décrire, dans une approximation plus ou moins détaillée, sans jamais pouvoir donner de son histoire une véritable explication, en lui assignant ses causes profondes. Le choix du sujet commande donc ici, plus qu’ailleurs, le résultat de l’entreprise.

3. Ayant entrepris une « Histoire des traditionalistes », Yves Chiron ne s’est pas mépris sur la véritable portée du titre donné à son ouvrage : « le but de cette histoire des traditionalistes », explique-t-il, « sera d’abord de dresser un panorama rigoureux et, si possible, incontestable quant aux noms, aux dates et aux faits » . A cet égard, le résultat le plus appréciable de son travail – car il correspond exactement au but assigné – est le « Dictionnaire biographique des catholiques de Tradition », qui figure sur une centaine de pages (443-567) à la suite de l’histoire proprement dite. Disons même que ce Dictionnaire, s’il eût été plus développé, plus complet ou même exhaustif, aurait avantageusement pu remplacer l’histoire. Car celle-ci, loin de constituer une véritable synthèse explicative, se contente de distribuer en quinze chapitres, et en suivant pour cela un ordre principalement chronologique, les données biographiques disséquées dans le Dictionnaire.

4. Un dictionnaire biographique atteint toujours son but, qui est de dresser, pour chaque individu isolé, le panorama rigoureux et incontestable ambitionné par Yves Chiron . Mais l’histoire ? Dans la réalité de leur déroulement, les faits ne se succèdent jamais selon un orde purement temporel. Il y a des causes et il y a des effets. Il y a des individus dont la responsabilité a été très grande et qui ont eu une influence déterminante sur leur temps, et il y en a d’autres dont l’action a été tributaire de celle des premiers, qui ont bénéficié de leur succès, qui ont durement subi les conséquences de leurs échecs ou qui ont tiré parti de leur infortune. Les hommes, qui sont isolés les uns des autres comme autant de pièces détachées dans un dictionnaire biographique, agissent les uns sur les autres dans la réalité que l’histoire doit essayer de restituer. Et ils agissent ainsi le plus souvent en raison de leurs idées, à cause des principes qui guident leur action. Virtuose de l’analyse, Pierre Gaxotte n’a pour autant jamais perdu « l’habitude de juger » , comme en témoigne excellemment sa Révolution française, parue en 1928. Il n’a jamais négligé de mettre en évidence cette solidarité qui relie entre elles les actions des hommes, à la mesure des idées qui les animent – et qui mènent le monde. Dans le discours d’hommage qu’il prononça à l’Académie française, le 25 novembre 1982, Jean Dutourd a pu dire avec justesse que « ce regard si intelligent, infaillible pour retrouver la vérité sous des stratifications séculaires d’erreurs ou de bêtises, fait de Pierre Gaxotte un incomparable historien ». Historien par excellence, dans la mesure où la restitution exacte du passé doit non seulement rendre compte des faits mais en donner un minimum d’intelligence, aussi exacte que possible. Laissé à lui-même, le panorama que Yves Chiron a voulu se donner pour but, peine à se donner vraiment pour rigoureux et incontestable, car il ne peut éviter de tomber dans le genre de travers qui a si longtemps discrédité les historiens du règne de Louis XV : « Estompant certains traits et forçant les autres, ils donnèrent du dix-huitième siècle une image déformée, où tout est figuré peut-être, mais où presque rien n’est à sa place ni dans son jour » . A vouloir se cantonner dans le pur recensement des noms, des dates et des faits, le panorama en devient irréel à la mesure même de son uniformité, qui le prive de la part la plus importante de son intelligibilité.

5. Une histoire des « traditionalistes » se doit en effet d’être intelligible, puisque c’est l’histoire de ces êtres raisonnables et libres, qui ont réagi face aux nouveautés introduites par le concile Vatican II. C’est une histoire, par conséquent, où chacun a pris ses responsabilités, et s’est trouvé conduit à assumer les conséquences découlant de ses choix et c’est une histoire où les uns ont été conduits à s’opposer aux autres. Or, ce lien, inévitable au niveau des faits, entre ces choix libres et leurs conséquences, avec les ruptures et les oppositions qu’il commande, est intelligible. Comme tel, il appelle déjà le constat et le jugement de l’historien, jugement qui, même s’il s’abstient d’approuver ou de blâmer, ne peut éviter de prendre acte des partis pris, des libres choix et des décisions, avec toutes leurs suites logiques et nécessaires. L’histoire des traditionalistes est encore une histoire où ces choix et ces conséquences ne sont jamais isolés, puisque les hommes agissent les uns sur les autres, étant par nature des êtres qui communiquent entre eux et qui s’influencent, des êtres politiques, des « animaux politiques », disait Aristote. On ne saurait donc sans risque, sinon éluder, du moins édulcorer de façon excessive, les grandes problématiques fondamentales, qui ont commandé et commandent encore le comportement des catholiques de Tradition. Car leur histoire en deviendrait inintelligible. Le positivisme d’Auguste Comte a frayé la voie à une méthode historique dont Charles-Victor Langlois (1863-1929) et Charles Seignobos (1854-1942) se sont fait les théoriciens, avec leur Introduction aux études historiques de 1898. Même si, par chance, les historiens qui s’en sont inspirés n’ont pas tous suivi jusqu’à l’extrême les exigences de cette méthode, il reste que celle-ci présente l’idéal d’une érudition pure, d’où toute intelligibilité se trouve bannie, au nom d’une intransigeante impartialité. Cette abstention du jugement assignerait comme but à l’histoire « la précision et le réalisme sans art d’une table des matières » .

6. L’historien se doit donc de juger, en un certain sens, même s’il ne doit pas juger en un autre sens. Il doit exercer un jugement pour constater ce qu’ont été les faits, avec leur enchaînement logique, et, éventuellement, prendre acte des conflits d’idées et des différences d’appréciations. A cet égard, l’historien des traditionalistes ne peut pas éviter de regarder en face la grande division qui oppose depuis le 30 juin 1988 les fidèles de la Fraternité Saint Pie X et ceux de la mouvance Ecclesia Dei, avec les responsabilités qu’elle implique. Car cet antagonisme est un fait historique, et c’est le fait de la coexistence de deux positions qui ne peuvent pas être vraies en même temps. Mais d’autre part, l’historien ne doit pas exercer un jugement pour évaluer la vérité théologique ou la valeur morale des positions en présence. A cet égard, l’historien des traditionalistes doit se contenter de fournir à son lecteur les pièces d’un dossier, sur lesquelles chacun pourra se faire sa propre opinion, sans que la perspective du récit oriente déjà la conclusion. A cet égard, l’historien des traditionalistes se doit de laisser la parole aux représentants de chacune des deux positions inconciliables, afin de laisser les faits parler d’eux-mêmes, autant qu’ils le peuvent. Disons en bref que l’historien devrait juger, mais non arbitrer.

Quel « traditionalisme » ?

7. Dans l’entretien récemment publié par la revue La Nef , Yves Chiron affirme que « le traditionalisme est antérieur au concile Vatican II ». Il y a donc, de l’aveu même de l’auteur de cette « Histoire des traditionalistes » un concept correspondant à une attitude commune, laquelle doit donc apparaître comme intelligible, à la lumière d’un jugement proprement historique, au-delà d’un simple panorama descriptif des faits et gestes de chacun. Ce traditionalisme, Yves Chiron voudrait cependant le définir sans faire entrer dans sa spécificité la réaction des catholiques face au concile Vatican II. Il voudrait y voir seulement comme l’épiphénomène, ou tout au plus le point d’orgue, d’un certain antilibéralisme catholique, interne à l’Eglise, toutes tendances confondues. Certes, oui, le mot « traditionaliste » fait pour la première fois son apparition, dans les textes du Magistère, sous la plume du Pape saint Pie X, dans la Lettre sur le Sillon du 25 août 1910. Le Pape emploie ce terme pour faire la distinction entre les vrais catholiques et les novateurs. Cependant, à vouloir faire remonter si loin l’origine du concept, Yves Chiron en estompe et en force à la fois le trait. Les deux premiers chapitres du livre essayent sur 120 pages (le quart du livre) de définir déjà les traditionalistes à l’aune des combattants de l’après-guerre et de l’avant-concile. La tentative estompe par là la vraie nature du traditionalisme, car la première des deux principales spécificités de celui-ci, tel qu’il se vérifie dans la réalité de l’après-concile, et tel qu’il ne ressemble à rien de ce qui l’a précédé, est d’être confronté à une Rome désormais pourvoyeuse des idées libérales, une Rome néomoderniste et paradoxalement anti-romaine. La tentative force aussi la nature du vrai traditionalisme, car l’autre principale spécificité de celui-ci, tel qu’il se vérifie encore dans cette réalité de l’après-concile, est d’être confronté à des erreurs dont la subtilité et l’apparente orthodoxie donnent le change et réclament une contre-attaque différente de celle menée par les catholiques contre-révolutionnaires d’avant Vatican II – ne serait-ce que parce que cette contre-attaque ne peut bénéficier de l’aval et du soutien de l’autorité, contaminée par l’erreur.Les « traditionalistes » d’avant les années soixante pourfendaient sans merci des erreurs dûment condamnées par les autorités romaines, tandis que ceux des années post-conciliaires doivent remplir une tâche beaucoup plus difficile, qui est d’éclairer les esprits et de dissiper des illusions entretenues chez le grand nombre des catholiques par la caution des autorités romaines. Au-delà de la communauté du même mot « traditionaliste », le concept du « traditionalisme » risque d’en devenir équivoque, et le grand défaut de l’entreprise menée par Yves Chiron est de ne pas avoir suffisamment pris en compte sa portée analogique. Le terme de « traditionaliste » peut être utilisé en des sens très différents, et la réflexion absolument fondamentale qui s’imposait au seuil d’un livre, dont la première de couverture met en vedette le Supérieur du District de France de la Fraternité Saint Pierre, eût été d’en indiquer le sens propre et référentiel, garant de l’intelligibilité de toute la suite.

8. Qu’est-ce que,en définitive, l’histoire des traditionalistes, sinon l’histoire de tous ceux qui entrèrent en résistance contre l’introduction de la modernité dans l’Eglise ? Ceux que l’on a désignés par la suite comme des « traditionalistes » furent d’abord dénommés « intégristes », c’est-à-dire gens soucieux de conserver l’intégrité de leur religion face aux nouveautés. Pareille définition connote l’idée d’une résistance. Et très vite, la question inévitable devait se poser de savoir jusqu’où il était nécessaire et légitime de pousser cette résistance. La réponse à cette question, sans cesse reposée jusqu’aux consécrations épiscopales du 30 juin 1988, devait finir par faire de l’histoire des traditionalistes l’histoire des choix, des ruptures, des divisions et des séparations. Cela, le livre d’Yves Chiron ne le montre pas. Du moins pas suffisamment, pas autant que la restitution exacte, rigoureuse et incontestable, des faits l’eût exigé. Dans son panorama qui se voudrait « rigoureux et incontestable », presque rien n’est à sa place ni dans son jour, car ce panorama juxtapose des figures désarticulées, privées du lien vital qui aurait dû restituer leur consistance réelle. Les sacres d’Ecône ont été l’occasion d’une division radicale, entre d’une part une mouvance désormais plus que jamais attachée à la Fraternité Saint Pie X et à ses choix et d’autre part une mouvance dite « Ecclesia Dei ». La première refuse de reconnaître les enseignements du concile Vatican II comme l’expression d’un véritable Magistère, tandis que la seconde reçoit ces mêmes enseignements comme l’expression d’un Magistère ordinaire suprême, selon les degrés d’autorité assignés. L’événement du 30 juin 1988 restera donc, dans l’histoire des traditionalistes comme dans l’histoire tout court, beaucoup plus qu’un simple épisode jalonnant l’histoire de la Fraternité Saint Pie X. Ce fut un véritable tournant, l’occasion d’un choix décisif et d’une confrontation pourrait-on dire ultime à l’égard des exigences posées à la conscience des catholique par les retombées du concile Vatican II. Cette problématique aurait dû retenir au premier chef l’attention d’un historien soucieux de dresser un panorama aussi exact que possible de la grande mouvance traditionaliste. Elle n’affleure dans le livre d’Yves Chiron que d’une façon beaucoup trop discrète et l’on ne peut que regretter cette impasse difficilement compréhensible. Le scrupule de l’impartialité aurait dû ici trouver ses limites. Ou du moins ne pas inspirer le choix plus qu’étonnant de la première de couverture.

Et Mgr Lefebvre ?

9. L’histoire des traditionalistes est aussi, qu’on le veuille ou non, une histoire qui tourne et retourne, comme autour de son centre, autour de la grande figure de Mgr Marcel Lefebvre. Car cette résistance, qui définit comme tels les traditionalistes dans l’après-concile (au sens du premier analogué du terme, du moins quoad nos), fut l’activité des membres de l’espèce humaine, doués comme tels de raison et de liberté, et entrant en communication les uns avec les autres. Or - et c’est une donnée essentielle au gouvernement de l’espèce humaine, vérifiable à travers toute la constance de leur histoire – les hommes agissent toujours ensemble sous l’impulsion d’un chef et à l’instigation d’un principe coordinateur. La résistance aux erreurs du concile Vatican II a très vite pris l’allure – et elle le fut en toute réalité – d’une action commune et comme toute action commune celle-ci trouva son âme en la personne de l’ancien archevêque de Dakar. Que lui-même ait toujours refusé de se considérer comme le « chef de file des traditionalistes » n’y change rien et prouve tout au plus la profonde humilité – et l’humilité est modération – du prélat d’Ecône. Car les faits sont là : Mgr Lefebvre fut l’âme des traditionalistes, l’âme de cette opération survie de la Tradition catholique, dont il fut l’artisan privilégié. Il le fut et il le resta bien au-delà de la rupture consommée à l’occasion des consécrations épiscopales de 1988. Avant de parler des « traditionalistes », on parla d’ailleurs d’abord, et pendant longtemps, des « lefebvristes », à tel point que ce serait commettre un anachronisme - l’erreur impardonnable entre toutes à l’historien – que de vouloir projeter le terme de « traditionalistes » dans le contexte de l’avant 30 juin 1988, en lui donnant la priorité sur toutes les autres dénominations également en usage. Le langage courant de la presse et des medias ne s’y est pas trompé : Mgr Lefebvre fut l’âme de cette résistance au Concile, l’âme du corps des fidèles de cette Tradition décidée à ne pas mourir.

10. « Mgr Lefebvre », écrit pour sa part Yves Chiron, « est, dans l’histoire de l’Eglise contemporaine, la figure la plus connue du traditionalisme » . Dans l’histoire réelle, Mgr Lefebvre a été beaucoup plus que cela. D’autres historiens l’ont compris et l’ont écrit. Au-delà du simple fait d’une notoriété, Mgr Lefebvre fut surtout « le principal protagoniste de ce qui a pris les allures d’un schisme » ou encore « la figure symbolique de l’opposition aux réformes du concile » . Yves Chiron se contente de dire que « la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, qu’il a fondée, est numériquement le plus important des instituts traditionnels » . Un historien mieux inspiré a quand même eu soin de préciser que cette importance ne fut pas seulement numérique et que, à l’exemple de son fondateur, la Fraternité Saint Pie X doit être considérée comme « le maillon central, le plus visible et le plus médiatique, de la mouvance traditionaliste » . Yves Chiron ne peut d’ailleurs éviter de le reconnaître, lorsqu’il évoque, en passant, le moment où « la contestation traditionaliste prit un nouvel éclat et une tout autre ampleur avec Mgr Lefebvre à partir des années 1970 » . Mais l’on doit regretter que ce soit là quasiment le seul endroit du livre où l’auteur fait une allusion – toujours trop discrète – au rôle, pourtant historiquement incontestable et de première ampleur, joué par le fondateur de la Fraternité Saint Pie X.En nouant sur le même fil chronologique le Père Fillère , Pierre Lemaire , le curé Caucanas , le Père Bruckberger et Mgr Lefebvre, Monsieur Chiron ne permet pas suffisamment à son lecteur de discerner les seconds rôles du premier. Certes, aucun rôle n’est petit dans la sainte Eglise de Dieu et tous ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre au combat de la Tradition gardent chacun leur mérite. Mais l’une des tâches de l’historien est de restituer la réalité en la présentant avec son véritable relief et en mettant en évidence les acteurs dont l’influence a été la plus déterminante et la plus féconde. C’est cette mise en perspective qui laisse ici à désirer.

11. Dans le reste du livre, ce rôle de Mgr Lefebvre semble plutôt relégué au second plan, quand il n’est pas passé sous silence. C’est ainsi que, par exemple, à la page 120, l’intervention de Mgr Lefebvre en faveur de la Cité catholique de Jean Ousset n’est pas mise sous son vrai jour. Surtout, aux pages 140-141, l’influence de Mgr Lefebvre lors du concile Vatican II n’est pas restituée dans toute son exactitude historique et Yves Chiron se contente de souligner, de la part du prélat,un vœu de réforme liturgique, alors qu’il lui eût été facile de s’appuyer sur des publications aujourd’hui bien connues du grand public (au premier rang desquelles il convient de citer l’inévitable J’accuse le Concile) pour restituer toute l’importance des interventions de l’ancien archevêque de Dakar au moment du Concile. Au lieu de cela, à la page 143, Mgr Lefebvre est présenté comme un simple membre parmi d’autres au sein duCoetus internationalis patrum. A la page 150, Yves Chiron rapporte que Mgr Lefebvre a loué la Nota praevia, rajoutée par le Pape Paul VI au chapitre III de la constitution Lumen gentium sur l’Eglise, mais il est regrettable que notre auteur n’ait pas pris la peine d’indiquer, ne serait-ce que brièvement, l’importance du débat qui eut lieu lors du Concile à propos de la collégialité, ainsi que les difficultés qu’il suscita. Par la suite, dans les Conférences qu’il donna à Ecône , Mgr Lefebvre est revenu sur cette appréciation de la Nota praevia, pour souligner les insuffisances du correctif de Paul VI et aussi le fait qu’il n’ait pas été repris par Jean-Paul II dans le Nouveau Code de 1983. Yves Chiron, qui ne manque pas d’insister sur la qualité de son information , aurait pu trouver la teneur littérale de ces réflexions dans les Actes du Colloque organisé par l’Institut Saint Pie X les 10 et 11 novembre 2012 . Le plus étonnant, parmi tous ces non-dits, est la manière dont Yves Chiron relate ce qui fut, avec le débat sur la Collégialité, la principale bataille du Concile, lors de l’examen du schéma sur la liberté religieuse, qui devait aboutir à la promulgation de la Déclaration Dignitatis humanae. A la page 155, Yves Chiron s’exonère avec une facilité pour le moins surprenante de ce qui aurait dû représenter l’une des parts les plus importantes de son enquête : « Sans entrer dans le détail de tous les débats … ». Où est donc le panorama « rigoureux » ?Car la question de la liberté religieuse est sans aucun doute la pièce maîtresse de l'opposition au Concile, autour de laquelle s'est cristallisée la résistance des traditionalistes. Nous sommes bien conscient qu’une « Histoire des traditionalistes », quelle qu’en fût l’ambitieuse envergure, ne pouvait pas compter une nombre illimité de pages. Sans exiger de l’auteur qu’il refît dans le détail tout l’historique du combat mené en faveur de la Royauté sociale du Christ Roi, nous ne pouvons concevoir sans peine qu’une étude de cette importance n’ait pas trouvé le moyen de donner tout le relief qu’elle méritait à cette question si cruciale de la liberté religieuse au Concile. Car c’est bien elle qui a fédéré puis ensuite divisé les traditionalistes. Passons enfin sur le fait (relaté page 155) que Mgr Lefebvre ait « approuvé » tous les textes du Concile par sa signature et qu’il ait par celle-ci « donné son adhésion à la déclaration sur la liberté religieuse ». Il est indubitable que, jusqu’à ce jour, la portée exacte de ce fait est loin d’avoir été élucidée comme elle aurait dû l’être. Le souci d’exactitude historique aurait dû conduire Monsieur Chiron à observer ici autant de réserve que dans les autres endroits de son livre. Il lui eût suffi pour cela d’évoquer le fait de la signature et de laisser le lecteur face à l’interrogation suscitée par sa valeur .

Rome et Ecône

12. Yves Chiron consacre tout de même quatre chapitres à l’histoire de la Fraternité Saint Pie X
et de son fondateur. Le chapitre 7 (« Mgr Lefebvre, un doux obstiné ») consacré à la fondation du Séminaire d’Ecône précède le chapitre 8 qui s’attache à décrire les origines des futures communautés amies (ou ennemies) de la Fraternité Saint Pie X (« Des religieux dans la tourmente »). La juxtaposition des deux origines est à l’image du livre, une « Histoire des traditionalistes » sans articulation ni relation de cause à effet – où l’œuvre de Mgr Lefebvre n’est pas donnée pour l’âme ou le point de référence d’une Tradition initialement unie dans sa réaction au Concile.

13. C’est surtout le chapitre 9 qui a retenu notre attention. Yves Chiron y expose les démêlées qui mirent aux prises le Pape Paul VI et Mgr Lefebvre durant les années 70, tout spécialement entre 1974 (date de la fameuse Déclaration du 21 novembre) et 1976 (date de la suspens a divinisfulminée suite aux ordinations du 29 juin, de la Messe de Lille le 29 août, de l’audience accordée par le Pape au fondateur de la Fraternité, et qui eut lieu à Castelgandolfo le 11 septembre). Nous y retrouvons le descriptif factuel relativement fidèle, quoique résumé, qui caractérise la plume de l’historien. Aux deux pages 288-289, celui-ci tente de donner une explication de ces événements (et donc de les juger) à la lumière de ce qu’il dénomme « la psychologie de Mgr Lefebvre ». Yves Chiron s’appuie ici – exclusivement – sur l’appréciation de « certains des amis de Mgr Lefebvre ». Certains ? Il s’agit en réalité de deux témoignages : celui de Dom Roy, père abbé de Fontgombault et celui du cardinal Siri, archevêque de Gênes. L’un et l’autre émettent l’hypothèse d’une « déficience psychologique » de Mgr Lefebvre, voire d’une « sclérose du cerveau » et d’un « dérangement mental ». En face de telles hypothèses, Yves Chiron se contente de mentionner l’appréciation du biographe de Mgr Lefebvre, Mgr Tissier de Maillerais, lequel « ne reprend en aucune manière cette appréciation sévère ». Voire … Mais l’on reste plus que perplexe devant de pareilles méthodes historiographiques. Le doute insinué à la faveur de ces deux témoignages sera-t-il suffisamment contrebalancé, dans l’esprit des lecteurs, par une seule référence, trop lacunaire, aux dires du principal disciple de l’intéressé ? Il est légitime d’en douter, à la lecture de ce qu’écrit Mgr Tissier, qui ne prend pas la peine de s’attarder sur les allégations de Dom Roy pour les démentir et qui suggère « des petites failles » dans la personnalité du fondateur d’Ecône - un relevé que Yves Chiron met précisément en vedette. L’élémentaire déontologie n’eût-elle pas obligé notre historien à se taire, faute de pouvoir faire un plus ample état des témoignages disponibles, et qui s’accordent en très grande partie pour accréditer le parfait équilibre psychologique et la grande sagesse de Mgr Lefebvre ? Un abbé Franz Schmidberger, un Mgr Fellay, un abbé Emmanuel du Chalard, un abbé Patrice Laroche, un abbé Alain Lorans, un abbé Michel Simoulin, un abbé Denis Puga, qui ont été amenés, de par leurs fonctions, à vivre dans la plus grande proximité de Mgr Lefebvre, n’eussent-ils pas été des témoins plus à même de vérifier – et combien plus que Dom Roy et le cardinal Siri - si, oui ou non, l’attitude de Mgr Lefebvre était le résultat d’une sclérose mentale ? L’ambition d’un « panorama rigoureux et incontestable » touche ici à une sérieuse limite.

14. Ce n’est pas tout. Avec ses suites immédiates, l’audience du 11 septembre 1976 représente dans l’histoire des traditionalistes un moment absolument décisif. Ce moment aurait bien mérité de faire la matière d’un chapitre à part, auquel l’historien vraiment soucieux de dresser un « panorama rigoureux et incontestable » eût naturellement donné un titre reprenant l’expression que Yves Chiron a préféré réserver – dans une singulière erreur de perpsective - au pontificat de Benoît XVI. En toute vérité historique, cette audience de la fin de l’été chaud fut,pour les traditionalistes, le véritable « kayros ». Car c’est en ce moment historique que Mgr Lefebvre exprima avec toute la précision requise les raisons profondes de son attitude. Les textes qui rendent un compte aussi exact que possible de ce moment historique ont été publiés en septembre 2006, dans le numéro 13 de la revue de l’Institut Universitaire Saint-Pie-X, la revue Vu de haut, sous la direction du Recteur de l’époque, Monsieur l’abbé Christian Thouvenot, avec pour titre : « Vatican II : l’autorité d’un concile en question ». Ces textes représentent une source d’information irremplaçable, une matière de choix, dont un historien des traditionalistes serait inexcusable de ne pas avoir su tirer parti. Car ce sont des textes qui, bien plus que l’hypothèse fort hasardeuse d’une supposée « déficience mentale », rendent compte de l’attitude de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint Pie X, s’agissant ici d’une attitude de principe. En omettant de s’y référer et d’en donner les citations indispensables, Yves Chiron a privé ses lecteurs, pour une part non négligeable, de l’intelligence de cette « histoire des traditionalistes » dont il prétend pourtant dresser le « panorama rigoureux et incontestable ». Pareille omission est difficilement explicable et devrait représenter une deuxième limite, au moins aussi sérieuse que la première, au « panorama rigoureux et incontestable ».

15. Le chapitre 12 est intitulé « Les séparations et les réconciliations ». Il relate les événements qui ont abouti à la consécration épiscopale du 30 juin 1988, à Ecône. Quoi que l’on pense de l’opportunité et de la prudence de cette initiative, on ne saurait en rendre un compte historique suffisamment exact sans faire état – au moins dans ses grandes lignes, à défaut d’en donner la citation intégrale - de l’homélie de ce jour, où Mgr Lefebvre a rendu un compte très détaillé des raisons qui ont motivé sa décision. Il n’en est que plus surprenant de n’en trouver qu’une mention très réduite et presque sybilline, dans cette histoire des traditionalistes. Yves Chiron se contente en effet d’évoquer « une longue allocution de Mgr Lefebvre », laquelle « qualifia la cérémonie de certainement historique » et « présenta les sacres qu’il allait accomplir comme une opération survie de la Tradition, estimant qu’ils étaient légitimés par un cas de nécessité » . Certes. Mais il convenait de mentionner, à tout le moins, la déclaration préliminaire, par laquelle Mgr Lefebvre se justifiait de procéder à cette consécration en dépit de l’opposition du Pape Jean-Paul II. « Avez-vous un mandat apostolique ? » [demande le cérémonial de la consécration des évêques, le 30 juin 1988.]- « Nous l’avons ! » [répond Mgr Lefebvre.] - « Qu’on le lise ! »- « Nous l’avons par l’Eglise romaine qui, dans sa fidélité aux saintes traditions reçues des apôtres, nous commande de transmettre fidèlement ces saintes traditions – c’est-à-dire le dépôt de la foi – à tous les hommes, en raison de leur devoir de sauver leur âme. Etant donné que depuis le concile Vatican II jusqu’aujourd’hui, les autorités de l’Eglise romaine sont animées d’un esprit de modernisme, agissant contre la sainte Tradition, – « ils ne supportent plus la saine doctrine, détournant l’ouïe de la vérité, pour se tourner vers des fables » comme dit saint Paul à Timothée dans sa seconde épître (IV, 3-5) – nous estimons que toutes les peines et censures portées par ces autorités n’ont aucun poids ». De cela, qui doit revêtir ici une importance absolument primordiale et qui s’impose en toute rigueur à l’attention de l’historien, Yves Chiron ne rend aucun compte.

16. Il y a plus étonnant encore que cette omission. Notre auteur présente la réalité des sacres d’Ecône de façon pour le moins saugrenue : « Mgr Lefebvre prononça la formule rituelle en latin », écrit-il. « Avez-vous le mandat apostolique ? L’abbé Schmidberger répondit presque à mi-voix : Nous l’avons » . Pourquoi donc « presque à mi-voix ? » … Dans l’entretien donné à la revue La Nef que nous avons mentionné plus haut , Yves Chiron déclare que « l’historien n’est pas un juge ni un arbitre ; tout au plus peut-il essayer de se montrer rigoureux dans sa recherche d’informations et dans le tableau qu’il dresse ». Pourquoi donc, dès lors, insinuer, sans preuve tangible, une timidité ambiguë de la part du Supérieur Général de la Fraternité au moment de l’acte le plus décisif posé par son fondateur et surtout pourquoi prendre parti et juger en écrivant que cette réponse : « Nous l’avons », destinée à justifier la légitimité de la consécration, était « équivoque ou amphibologique » ? Sans doute, le Pape Jean-Paul II avait-il refusé de donner le mandat apostolique pour sacrer les évêques, mais ce refus était-il justifié ? L’historien - tel que le conçoit Yves Chiron - peut-il se permettre d’en décider ? Yves Chiron évite ici beaucoup trop facilement – et étonnamment - de se montrer « rigoureux dans sa recherche d’informations », ainsi qu’il aurait dû l’être en laissant la parole à Mgr Lefebvre. Il lui aurait suffit, pour rétablir une juste vue des choses et dresser un tableau rigoureux de l’épisode, de citer les paroles prononcées par l’ancien archevêque de Dakar dans son Homélie : « Nous ne sommes pas des schismatiques. Loin de nous ces penséesmisérables de nous éloigner de Rome.Bien au contraire, c'est pour manifester notre attachement à Rome que nous faisons cette cérémonie. C'est pour manifester notre attachement à l'Eglise de toujours, au pape et à tous ceux qui ont précédé ces papes qui, malheureusement, depuis le concile Vatican II ont cru devoir adhérer à des erreurs, des erreurs graves qui sont en train de démolir l'Eglise et de détruire le sacerdoce catholique.[…]Nous nous trouvons dans un cas de nécessité. Nous avons tout fait pour essayer que Rome comprenne qu'il faut revenir à cette attitude du vénéré (pape) Pie XII et de tous ses prédécesseurs. Nous avons écrit; nous sommes allé à Rome ; nous avons parlé; nous avons envoyé des lettres, Mgr de Castro Mayer et moi-même plusieurs fois à Rome. Nous avons essayé par ces colloques, par tous les moyens, d'arriver à faire comprendre à Rome que, depuis le concile, cet aggionamento, ce changement qui s'est produit dans l'Eglise, n'est pas catholique, n'est pas conforme à la doctrine de toujours de l'Eglise : cet œcuménisme et toutes ces erreurs, ce collégialisme, tout cela est contraire à la foi de l'Eglise et est en train de détruire l'Eglise.C'est pourquoi nous sommes persuadé qu'en faisant cette consécration aujourd'hui, nous obéissons à l'appel de ces papes et par conséquent à l'appel de Dieu, car ils représentent Notre Seigneur Jésus-Christ dans l'Eglise ». Sans doute, oui, une pareille démarche pouvait-elle présenter « les allures d’un schisme ». Et Mgr Lefebvre en était le premier conscient. Mais en vérité, y avait-il schisme ? Il appartient à l’historien de rassembler les données historiques qui soulèvent cette question, mais lui appartient-il de juger du caractère « équivoque ou amphibologique » des arguments avancés par l’une des parties en présence ? S’interdisant le rôle d’un juge ou d’un arbitre, Yves Chiron a tout de même ici outrepassé les limites qu’il s’était fixées. Et cela est d’autant plus flagrant qu’au lieu de citer les passages les plus déterminants de l’Homélie, notre auteur focalise l’attention de son lecteur sur la mention des apparitions de Quito, évoquées par Mgr Lefebvre tout à la fin de son discours, en guise d’argument ad hominem. Donner ce seul – et unilatéral – aperçu d’une argumentation dont les conséquences devaient être si lourdes ne risque-t-il pas de classer le fondateur de la Fraternité Saint-Pie-X aux côtés des plus forcenés parmi les apparitionistes ?... L’honnêteté la plus élémentaire commandait de donner au lecteur les moyens de se faire une opinion autrement plus exacte et pour cela de lui restituer les points névralgiques d’un plaidoyer dont nous avons tenu à donner plus haut une importante citation. Là encore, où est le « panorama rigoureux et incontestable » ?

Histoire vraie ou histoire partiale ?

17. Quelle impression d’ensemble doit-on retirer à la lecture de cette « Histoire des traditionalistes » ?L’auteur a conçu son livre comme un compte-rendu prosopographique des plus rigoureux et incontestables. De fait, Yves Chiron a eu le mérite de rassembler bien des données qui, pour être déjà connues, restaient jusqu’ici éparses et fragmentaires. Son mérite est aussi d’apporter du neuf et de compléter sur plus d’un point ces aspects déjà connnus de l’histoire de la Tradition, en leur joignant une masse d’informations inédites ou trop peu familières au grand public. C’est ainsi que l’histoire du post-concile s’éclaire avantageusement à la lumière de ses antécédents, et que les acteurs secondaires et ignorés de ce combat de la foi prennent leur juste place aux côtés des grands combattants très vite mis en vedette par l’actualité. Le Dictionnaire biographique qui fait suite à l’histoire représente un outil fort précieux.

18. Mais l’histoire ne se réduit pas à un ensemble de matériaux. C’est leur agencement, avec la perspective qu’il implique, qui en fait la véritable substance. Et il faut bien reconnaître que la manière dont Yves Chiron donne forme à toute cette matière rassemblée, nous dit-il, « au fil des décennies » , oriente son récit dans un sens qui correspond mal à ce qui aurait dû être un « panorama rigoureux et incontestable ». La rigueur souffre en effet ici de nombre d’omissions, et les appréciations critiques, qui transparaissent sous la plume de l’auteur, restent contestables sur plus d’un point. Car Yves Chiron juge, à la faveur de l’orientation générale de son récit, qui minimise le rôle joué par Mgr Lefebvre et passe sous silence les véritables enjeux des sacres de 1988. L’histoire des traditionalistes est en effet celle d’une résistance et c’est aussi celle d’une grande fracture, au sein de cette résistance. Tels sont les deux faits qui s’imposent à l’attention de l’historien, et qui soulèvent d’importantes questions. Le point de vue panoramique où nous entraîne Yves Chiron les évite peut-être trop facilement .

19. La conclusion de son livre s’achève avec une citation de Jean Madiran qui laisse le lecteur sur sa faim : les traditionalistes sont « un comportement, une professio et une devotio ». Ce qu’Yves Chiron ne dit pas, c’est qu’à la fin de sa vie Jean Madiran avait reconnu que, sans évêque acquis à la cause de la Tradition, les traditionalistes seraient sans avenir . N’était-ce pas là reconnaître, quoique de manière voilée et indirecte, mais à tout le moins implicite, le bien-fondé de l’acte posé par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988 , bien-fondé que les faits subséquents et encore récents se chargent de confirmer ?Il reste que, au-delà d’une apparente communauté de rite traditionnel, il est deux comportements qui ne peuvent pas être vrais en même temps. L’histoire des traditionalistes est bien celle de cet antagonisme, inauguré par le concile Vatican II et aggravé par le Motu proprio Ecclesia Dei afflicta. Elle rejoint ici l’histoire de cette « hérésie du vingtième siècle », dont Madiran nous a dressé, quant à lui, le panorama rigoureux et incontestable.

Abbé Jean-Michel Gleize

Lionel Groulx, Compte-rendu de « Gaxotte (Pierre), Histoire des Français » dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. V, n° 3 (décembre 1951), p. 440.
2 Jean Boulouis, Compte-rendu de « Gaxotte (Pierre), Histoire des Français » dans la Revue française de science politique, vol. I, n° 3 (juillet-septembre 1951), p. 403-404
3Yves Chiron, Histoire des traditionalistes, Tallandier, 2022, p. 10. Référence désormais abrégée en « Chiron ».
4Tel est le genre, actuellement fort en vogue, de la « prosopographie », dans lequel les personnalités qui composent un milieu donné sont inventoriées et classées, avec des notices individuelles, construites sur le même modèle, afin d'en mettre en évidence les aspects communs. Un bon exemple en est la thèse d’Ecole des chartes de notre confrère l’abbé Pierre-Marie Berthe, consacrée aux procureurs français à la cour pontificale d’Avignon, de 1309 à 1376.
5 Groulx, ibidem, p. 440.
6 Pierre Gaxotte, « Avant-propos » dans Le Siècle de Louis XV, Fayard, 1933, p. 1.
7 La formule est d’Etienne Gilson.
8Yves Chiron, « Que sont les traditionalistes » dans La Nef n° 345 de mars 2022.
9Chiron, p. 8.
10Jean-Marie Mayeur, « La papauté après le Concile » dans Histoire du christianisme. Tome 13 : Crises et renouveau (de 1958 nos jours), Desclée, 2000, p. 134. Notons au passage la réserve quasiment professionnelle de cet historien. En évoquant « ce qui a pris les allures d’un schisme », Monsieur Mayeur évite de se prononcer au-delà des limites de sa compétence.
11Jean-Marie Mayeur, ibidem, p. 135.
12Chiron, p. 8.
13 Franck Lafage, Du refus au schisme. Le traditionalisme catholique, Seuil, 1989, p. 9.
14Chiron, p. 27.
15 Chiron, p. 60-62 et 78-79.
16 Chiron, p. 66-70.
17Chiron, p. 223-224.
18 Chiron, p. 260-261.
19 Conférences du 18 janvier 1983 ; 15 mars 1983 ; du 19 décembre 1983 ; du 09 juin 1988 ; Conférence sur la nouvelle ecclésiologie donnée au Séminaire d’Ecône le 5 juin 1986.
20 Chiron, p. 12.
21 Cf. l’intervention « Une conception collégiale de l’Eglise vue comme communion » dans Vatican II, les points de rupture. Actes du Colloque des 10 et 11 novembre 2012, Vu de haut n° 20.
22L’explication donnée par Mgr Tissier dans sa biographie, et que Yves Chiron mentionne à la page 156, est en effet loin d’avoir de quoi convaincre tout le monde. D’autant moins que tout repose en définitive sur une simple reproduction photocopiée fournie par la Revue Sedes sapientiae, citée en note par Monsieur Chiron (page 586).
23 Chapitre 7, pages 229-241 ; chapitre 9, pages 275-301, plus précisément aux pages 288-289 ; chapitre 10, pages 303-335 ; chapitre 12, pages 345-366.
24Il s’agit de l’Homélie prononcée par Mgr Lefebvre à Ecône le 19 septembre 1976 (chapitre XIII, p. 36-38) et de la Conférence spirituelle donnée à Ecône le 18 octobre 1976 (chapitre XIV, p. 39-43). Dans ces deux intervention, Mgr Lefebvre répond avec précision aux objections de Paul VI.
25Chiron, p. 361.
26Chiron, p. 361-362.
27 Voir plus haut, la note 11.
28Chiron, p. 362.
29Chiron, p. 12.
30 Même s’il juge plus sévèrement que Yves Chiron, en affirmant la réalité d’un schisme, le livre de Luc Perrin, L’Affaire Lefebvre, Cerf, 1989, a le mérite de soulever ces questions.
31Ce témoignage figure en bonne place dans le film réalisé par la Fraternité Saint Pie X, intitulé « Mgr Lefebvre, un évêque dans la tempête » (Editions Clovis, 2012).
32 Les dénégations embarrassées de Béatrice Doyer et Jeanne Smits, qui figurent sur le site de la Fraternité Saint Pierre, « Claves.org », ne peuvent rien y changer.

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