LA HONTE



Publié le 20/11/2021 sur internet
Publié dans le N°645 de la publication papier du Courrier de Rome



1.Paul Claudel aimait à évoquer, dans une formule savoureuse, empreinte d’ironie salvatrice et vengeresse, cette « grande et un peu mystérieuse figure de saint Joseph, dont le nom seul fait sourire les gens supérieurs » [1]. Un peu mystérieuse : c’est peut-être là que l’ironie de Claudel se fait le plus justement féroce … Car le grand mystère de saint Joseph n’est autre que celui-là même du Verbe Incarné, le mystère de Notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, unique Sauveur et Rédempteur de tout le genre humain. C’est le cardinal Billot qui l’a souligné [2] : saint Joseph a été prédestiné et voulu par Dieu d’abord pour remplir son rôle de père nourricier de Jésus, avant de l’être pour remplir le rôle d’époux de Marie. En effet, son mariage virginal (joséphin, dira-t-on désormais en vertu de l’antonomase) a été voulu de Dieu d’abord et avant tout en fonction de l’Enfant-Dieu dont il fallait assurer la nutrition et l’éducation. Comme Marie, mais d’une autre manière, Joseph n’est d’abord et avant tout voulu de Dieu que pour Jésus.

 

2. Tel est d’ailleurs - selon la lecture qu’en donne Billot - le sens de la parole de l’ange, rapportée en saint Matthieu dans son Evangile, chapitre I, versets 20-21 : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie pour ton épouse ; en effet, ce qui est né en elle est du Saint Esprit : elle mettra au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jésus » [3]. Le commandement que l’ange donne à saint Joseph de prendre Marie pour épouse est une conséquence ; et celle-ci découle d’une cause. Cette cause est que la Vierge doit mettre au monde un fils. Peut-être, dira-t-on, cette lecture est-elle seulement accommodatice. Mais elle présente l’intérêt de mettre en évidence la mission propre et la raison d’être de saint Joseph. C’est d’abord l’Enfant Jésus - avant Marie - qui a besoin d’un homme, c’est-à-dire d’un individu de sexe masculin. Et, bien qu’il n’en ait pas besoin pour venir au monde (sa conception est en effet virginale) Jésus en a besoin pour parvenir à l’état d’homme achevé. Le père humain n’est donc pas seulement un géniteur, d’un point de vue exclusivement biologique. Il est nécessaire à l’enfant, selon les lois de la nature humaine, pour que celui-ci parvienne à son plein achèvement, en particulier sur le plan psycho-affectif. Et comme tous les autres mystères, celui de l’Incarnation se doit de respecter ces lois pleinement nécessaires. Le miracle divin n’aura jamais rien de commun, rien de semblable avec l’abjecte PMA. Celle-ci équivaut au refus et au rejet de la paternité, divine et humaine. Rejet de la paternité de Dieu à travers le rejet de la paternité humaine, dont Dieu est l’auteur et le souverain législateur. Ce rejet compromet l’épanouissement de la personne humaine et conduit à la déchéance. Il ne saurait trouver son issue ailleurs que dans une humanité manquée.

 

3. Le 26 septembre dernier, le vote du Peuple suisse a voulu donner sa légitimité à cette abjection. Aucun des 26 cantons ne s’est opposé à la possibilité offerte aux couples homosexuels de contracter un mariage civil, et aux couples de femmes d’accéder à la procréation médicalement assistée. Aucun. Le plus grand pourcentage de voix contre est monté seulement - dans le Tessin - à 47 %, laissant derrière lui le canton du Valais - pourtant censé le canton traditionnellement catholique par excellence - où le refus ne s’est exprimé qu’à 44,5 % [4]. C’est une honte : la honte d’un véritable crime contre l’humanité, désormais condamnée à périr, faute de paternité. Ne nous méprenons pas, en effet : ce crime est excessivement grave, car c’est d’abord celui d’une exemplarité, précisément celui d’un droit. Que ceux qui useront de ce droit soient nombreux ou non, majoritaires ou non, le droit est acquis en principe et il signifie que, aux yeux de la Constitution du Peuple Suisse, la paternité n’est plus une nécessité inhérente à la nature humaine. Il signifie l’exil de saint Joseph, devenu parfaitement inutile.

 

4. La paternité humaine n’en restera pas moins nécessaire, aux hommes de notre temps, comme à ceux du temps du Christ - comme à l’Enfant-Dieu Lui-même. Car les lois de la nature humaine sont imprescriptibles. Comme les autres cantons de la Suisse, le Valais vient d’ouvrir la brèche de ce qui, à terme, aboutira à un véritable suicide social. Pour le contrecarrer, et essuyer cette honte, le Peuple suisse devra se rendre compte que la paternité n’est pas une simple alternative. En attendant, la Loi de Dieu a été mise aux urnes, dont on sait aujourd’hui - en ces temps de manipulation médiatique [5] - tout l’aléatoire ; et les pauvres citoyens de la Confédération pourraient bien se reposer la question soulevée jadis par le regretté René Berthod : « La démocratie serait-elle le gouvernement du peuple par une minorité » ?... [6]

 

 

Abbé Jean-Michel Gleize

 

[1] Cité par Charles De Koninck, La piété du Fils, Laval, 1954 dans l’annexe 3, p. 177-222 qui montre quels sont les véritables fondements du culte de saint Joseph, à la lumière des principes de saint Thomas et de la tradition subséquente.

[2] Dans son De Verbo Incarnato ou Traité du Verbe Incarné, thèse XLIV, p. 421.

[3] « Joseph fili David, noli timere accipere Mariam conjugem tuam ; quod enim in ea natum est de Spiritu sancto est : pariet autem Filium et vocabis nomen ejus Jesus ».

[4] Cf. le site Fsspx.Actualités, qui reproduit les statistiques officielles.

[5] Selon la profonde remarque du sociologue Pierre-André Taguieff : « Le désir d’éviter le pire s’impose comme une raison suffisante de voter en faveur du candidat qui incarne, dans le contexte, l’évitement le plus efficace » (Pierre-André Taguieff, Macron : miracle ou mirage ?, Editions de l’Observatoire, 2017, p. 21).

[6] René Berthod, Rembarre. Billets (1978-1990), Editions L’Âge d’homme, p. 57.

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