Le rock - Aperçu historique
Publié dans le N°651 de la publication papier du Courrier de Rome
1. Nous tenons malheureusement de la philosophie kantienne la mauvaise habitude de juger catégoriquement dans l’ordre moral. Les choses sont alors bonnes ou mauvaises parce qu’on nous l’a appris, parce que c’est comme cela et nous ne savons pas pourquoi. Il y a là un volontarisme qui finit par tuer toute morale.
2. Car il est très certain que la véritable morale n’est pas un devoir pur, un commandement sans raison. De même que la pratique des vertus théologales découle de la contemplation des vérités de foi, ainsi toute morale découle d’une intelligence qui connaît et ordonne les réalités de la vie. C’est ainsi qu’Aristote définit la morale comme l’ordre que l’intelligence met dans ses propres actes. C’est à partir de cette intelligence que les actes ou les œuvres reçoivent alors leur dénomination de bonté ou de malice.
3. Le sujet abordé ici concerne ce que l’on peut appeler du nom générique de rock. C’est un sujet qui divise tant d’un point de vue moral que d’un point de vue esthétique. Le but de notre propos n’est pas d’en déterminer la valeur morale. Il s’agit plutôt d’une étude guidée par l’intelligence et qui se veut objective. La, jeunesse actuelle en effet baigne dans le contexte de cette musique moderne. Pour peu qu’un éducateur bien intentionné mais mal éclairé, déclare de but en blanc que ces musiques contemporaines sont mauvaises sans argumenter aucunement, il est certain que les jeunes gens qui entendront ces propos seront plutôt portés à lui désobéir…
La musique en général
4. La musique est un art bien particulier qui s’adresse à l’ouïe. Si ce dernier sens n’est peut-être pas le plus important à la vie intellectuelle, il est cependant le sens de la vie politique. Cette dernière repose en effet sur une certaine communication. Nécessairement donc, la musique à une influence sociale et politique importante. C’est la raison pour laquelle la musique sacrée fait partie intégrante de la liturgie et permet au culte d’être public. Dans ses Politiques, Aristote traite longuement de la musique quand il parle d’éducation, en raison de la puissance morale qu’exerce cet art sur l’âme.
5. La musique est aussi un art dépouillé en ce sens qu’elle ne propose pas directement d’images visibles. C’est plutôt l’auditeur qui se forgera une image à partir de ce qu’il entend. Mais cette « absence » d’images fait que la musique touche plus directement les passions de l’âme. En réalité, l’art d’Euterpe s’adresse au concupiscible et à l’irascible très facilement. La musique est d’ailleurs l’art qui exprime le mieux les sentiments de l’âme, et celui qui en exprime le plus. La tristesse ou la haine, la délectation ou même la terreur sont bien mieux exprimées par la musique que par une peinture.
6. Ajoutons que la musique est aussi un art de mouvement. Autrement dit, l’œuvre musicale n’est pas figée comme l’est un tableau ou une sculpture. Elle se développe dans le temps et appelle de ce fait un terme, qui devrait être un repos. Le mouvement objectif d’une musique suscite alors les mouvements subjectifs des passions et peut bien s’achever sans que l’auditeur n’ait trouvé réellement le repos. Au contraire, il peut en éprouver une certaine excitation intérieure qui peut même rejaillir sur le corps, tant il est vrai que l’homme est tout un.
7. Avec ces généralités sur la musique, on comprendra l’influence morale qu’elle peut apporter dans le quotidien de l’homme. La vie sainte, c’est-à-dire la vie vertueuse, est une vie réglée où la raison et la grâce viennent tremper de leur ordination la sensibilité et plus précisément l’appétit sensible et le corps. Or la musique, influençant directement les passions (l’appétit sensible), peut détruire cette harmonie de l’âme ou au contraire aider la vie vertueuse en apaisant la sensibilité pour la rendre docile aux appels de la grâce et de la raison. Mais cela demande justement d’être lucide sur le genre de musique que l’on écoute.
Les débuts du rock
8. Le rock au sens large naît aux Etats-Unis dans les années 1940. Il est la réunion de deux types de musiques propres à deux clans bien distincts. Grossièrement la country est la musique des blancs et le blues celle des noirs. La première fusion prendra le nom de rockabilly. La chanson fondatrice est That's All Right Mamad’Elvis Presley (en 1954. Ce musicien sera par ailleurs appelé le roi du rock. Une année plus tard (bien que la chanson soit plus ancienne) la parution de Rock around the Clock lance définitivement le style rock’n’roll.
9. Ce sont des musiques d’après-guerre. On y retrouve le désir de jouir de la vie, l’insouciance de la jeunesse, la pauvreté de la culture (Presley est chauffeur de poids lourds) et la volonté de faire tomber les barrières sociales. Cette musique dessine donc un courant libertaire qui voudrait ôter toute contrainte sociale. Par conséquent on y trouve aussi un esprit de revendication et de protestation contre le carcan moral. Le genre est agressif et sensuel. On y trouve même des allusions parfois claires aux relations sexuelles. Il est d’ailleurs remarquable que cette musique ne s’est pas imposée facilement. La société de l’époque aux Etats-Unis la jugeait trop indépendante, la qualifiant même de « musique du diable » ou encore « d’aphrodisiaque dégoûtant », de « musique de nègre qui ramène à l’état sauvage ».
10. Le nom même de rock’n’roll n’est pas sans innocence. Ce serait en argot une expression qui signifie danser, balancer, ou même faire l’amour. Quoi qu’il en soit de cette signification, le verbe rock signifie rester stable, et le verbe roll veut dire rouler, tourner, évoluer sans à coup. C’est là la définition même de la révolution qui consiste d’une part à rester debout et d’autre part à avancer dans et contre la société.
Renaissance
11. Le départ d’Elvis Presley en 1958 pour le continent européen marque le déclin du rock aux Etats-Unis. Mais le mouvement est lancé, et on assiste à une seconde naissance de ce genre musical en Europe et particulièrement en Angleterre. Les années 1960 verront l’émergence d’une forme de rock dénommée pop qui signifie musique populaire. Les deux groupes les plus célèbres sont les Beatles fondés en 1957 par John Lennon (1940-1980) et les Rolling Stone qui voient le jour en 1962 avec Mick Jagger (né en 1943). Le succès est franc et rapide et la musique inondera très rapidement tout le continent. Seule l’Europe de l’Est tente de combattre cette musique qu’elle qualifie de diabolique.
12. Le genre est plaisant, plus mélodieux, plus harmonique aussi, mais toujours agressif notamment à cause du rythme syncopé. Le rythme ressort un peu plus encore avec des battements (appelés beat, terme qui signifie d’ailleurs plus que battement dans cette musique ) répétés et l’émergence des graves qui deviennent plus fortes et plus obsédantes.
13. Les revendications sont plus que jamais les mêmes. Très vite, cette musique devient une industrie mondiale et libertaire. Les messages sont politiques et sociaux, l’autorité est contestée. Les spécialistes relèvent aussi des messages appelés (à tort) subliminaux ou plus exactement des messages diaboliques que l’on peut entendre lorsqu’on fait tourner le disque à l’envers ou parfois simplement en accélérant ou ralentissant la musique. Les références au sexe et à la drogue se multiplient. La musique s’impose de plus en plus dans le cinéma, les bandes dessinées et petit à petit en musique de fond dans certains magasins. En même temps qu’elle devient omniprésente, cette nouvelle musique exerce une véritable attraction sur les nouvelles générations.
14. Cet engouement de la jeunesse est particulièrement suscité par le célèbre Jimi Hendrix (1942-1970).D’ascendance afro-américaine, Johnny Allen que son père « rebaptisera » James Marshall, avant que lui-même ne se nomme Jimmy puis Jimi Hendrix, fait des débuts encore peu remarquer aux Etats-Unis. Il perce seulement à partir de 1966 lorsqu’il vient au Royaume-Uni puisqu’il éclipse le célèbre guitariste de l’époque, Eric Clapton. Il retourne l’année suivante aux Etats-Unis et enchante les foules par ses albums dont le plus célèbre est sans conteste Are youexperienced ? Il meurt trois ans plus tard, mais ses dernières années n’ont été que succès . On le dit parfois fondateur du hard rock.
15. En parallèle et dans le même mouvement naît aux Etats Unis le festival de Woodstock. Ce regroupement de jeunes et de divers groupes rock prône le rejet de tout ce qui est ancien et traditionnel. On les appelle aussi les hippies. Leurs rassemblements banalise l’usage de drogues dures (LSD, champignons hallucinogènes, etc) dans une optique ésotérique.
16. Une autre tendance apparaît aussi en contre-courant du mouvement hippie : c’est le rock psychédélique. Devenu célèbre grâce aux Pink Floyd, il est influencé par la prise de psychotropes dont la LSD et se veut une contre-culture. Avec eux, les morceaux deviennent plus longs tout en restant monotones, afin de favoriser les expériences hallucinogènes. C’est dans un groupe psychédélique (Hawkwind) que LemmyKilmister(1945-2015) a débuté sa carrière et son addiction à la drogue.
17. Dans les années 1970-80 le rock prend un tournant et devient encore plus agressif. C’est l’émergence du hard rock et du métal. Le refus de toute soumission est toujours le sous-bassement de ces musiques. Elles sont au service de l’indépendance de la jeunesse et excitent à la rébellion. Le satanisme devient prédominant. En 1981 le groupe Venom sort son premier album (Welcome to hell) considéré comme le premier album de black metal. Le groupe Iron Maiden a essuyé plusieurs refus de se produire de la part des autorités du Chili : leur tournée visait à promouvoir leur troisième album intitulé The Number of the beast. A cause de cette interdiction et avec eux, l’occultisme deviendra plus fin et moins explicite (plus « intelligent »…) : sur l’album suivant, le morceau Revelations est clairement inspiré par le célèbre occultiste Aleister Crowley (1875-1947), tout comme l’intégralité de leur septième album.
Des vies peu édifiantes
18. Par ailleurs, et même si l’argument est purement extrinsèque, la vie des rockeurs et le mouvement qu’ils engendrent n’ont rien d’édifiant. La plupart d’entre eux affiche une dépendance vis-à-vis de la drogue. John Lennon se déclarera ouvertement contre le christianisme dans lequel il avait pourtant été éduqué. Pour beaucoup, les tendances sont à la tristesse, au suicide et la drogue est souvent le moyen de contrecarrer ces états d’âme. Jimi Hendrix meurt en 1970 d’une surdose d’alcool et de médicaments dit-on. Elvis Presley aurait été retrouvé mort en 1977 après être tombé du siège de ses toilettes .
19. La question se pose toujours de l’affiliation à Satan, d’un culte diabolique ou d’une consécration à Lucifer par laquelle ces « artistes » auraient vendu leur âme au démon. On le dit de Robert Johnson (1911-1938), de Jimi Hendrix ou encore de Michael Jackson (1958-2009). Les preuves sont difficiles à trouver. Cependant dans une des biographies d'Elvis intitulée If I Can Dream : Elvis' Own Story, Larry Gellerécrit que le célèbre chanteur a lui-même reconnu qu'il recevait l'aide du monde des esprits. Selon Geller, qui était le conseiller spirituel d'Elvis, Presley transportait toujours avec lui des livres quand il voyageait. Parmi ses ouvrages favoris il y avait Isis Dévoilée de la théosophe Helena Blavatsky, Autobiographie d'un Yogi de ParamahansaYogananda, L'Enseignement Secret de Tous les Âges par le franc-maçon Manly P. Hall, GuérisonEsotérique d'Alice Bailey.Elvis Presley était donc un new-agede la première heure, un adepte convaincu de la théosophe Blavatsky, qui publiait à une certaine époque la revue Lucifer. Elvis a admis lui-même: « J'ai toujours senti une main invisible derrière moi. » Il déclarait que sa mission était d'utiliser son nom et son influence pour initier les gens au monde spirituel par lequel il était utilisé. Il disait que cette « Voix » l'utilisait comme un « canal » pour toucher des millions de gens à travers le « langage universel de la musique ». D'après Gary Herman, l'auteur de Rock and Roll Babylon (2002), Elvis lui-même a « reconnu qu'il y avait une part diabolique dans son succès ». On peut citer aussi le guitariste du groupe The Devil’s Blood aux Pays-Bas qui répétait sans cesse que ce n’était pas lui qui écrivait la musique, qu’il n’était qu’un vecteur et que le compositeur était le diable lui-même . Il a fini par se suicider.
20. Si la vie des « artistes » n’est pas édifiante, l’influence exercée sur l’auditoire n’est pas neutre. Les concerts engendrent une véritable hystérie des foules (des témoignages diront que les auditeurs de Beatles s’urinaient dessus et que l’odeur des salles étaient écœurantes). Fait notable, en 1984, le groupe Iron Maiden joue du Heavy Metal pour la première fois derrière le rideau de fer. Le succès en Pologne est phénoménal au point que certains policiers ont jeté leurs casquettes en l’air et se sont joints à l’hystérie collective abandonnant leur rôle de gardien de l’ordre. Ces rassemblements créent des modes vestimentaires, preuve de l’influence sociale et politique de la musique.
Pour conclure
21. L’histoire de ce vaste mouvement est éloquente. On veut souvent opposer le premier rock qui semble aimable et inoffensif au rock des années 80 et au-delà, qualifié de bien plus dur et plus offensif. Cette opposition n’est pas essentielle. Elle est purement accidentelle. L’ensemble même de toute cette musique est un mouvement unique dont le but ultime est la perversion de la jeunesse, l’invitation à la rébellion permanente et finalement l’abolition du christianisme. Loin d’édifier l’homme dans ce qui fait sa noblesse, savoir l’intelligence et la vertu, le rock’n’roll est une contre-culture destructrice non seulement de l’homme, de son intelligence et de sa vertu, mais aussi, et c’est bien plus grave, de sa vie sociale.
22. Cet aperçu sommaire n’est cependant pas encore suffisant pour comprendre la nocivité de ce genre musical moderne et contemporain. Il nous faut maintenant l’étudier sous son aspect technique de musique.
Abbé Gabriel Billecocq